In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Introduction Au Québec, les unions libres sont désormais proportionnellement plus nombreuses qu’ailleurs dans le monde, et sur la scène canadienne elles sont aussi plus fécondes et plus stables que dans les autres provinces. Toutefois, le Québec est la seule province au Canada qui n’a pas encore procédé à un encadrement légal (obligations alimentaires, etc.) de l’union de fait (Moore, 2002a; Leckey, 2009; Goubau, 2003). Cette situation peut sembler étonnante lorsque l’on constate qu’un couple sur trois vit en union libre et que près de 60% des enfants naissent hors mariage, cette proportion dépassant la barre du 80% dans certaines régions à forte dominante francophone comme la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine. Comment expliquer cette montée fulgurante de l’union libre et la désaffection du mariage? Quelles sont les motivations qui incitent aujourd’hui les couples à convoler en justes noces ou au contraire à demeurer hors des cadres du mariage? L’encadrement légal du mariage au Québec, que l’on dit plus contraignant qu’ailleurs au pays, conduit-il les couples à vivre de plus en plus nombreux en union libre? Ce questionnement, s’il est ancré dans la situation du Québec, dépasse largement ses frontières comme nous le verrons dans cet essai. En effet, l’évolution du phénomène montre les transformations radicales survenues dans l’articulation des dimensions économiques, sociales, symboliques et juridiques de l’institution du mariage. Plus spécifiquement, il révèle une redéfinition profonde des liens entre les normes conjugales contemporaines propres à la modernité et celles qu’édicte le droit dans la vie des couples. Les conjoints peinent à conjuguer les impératifs affectifs de l’amour, désormais au fondement même de la vie à deux, avec, d’une part, leurs désirs d’autonomie, d’indé­ pendance, d’égalité, mais aussi, d’autre part, avec les revendications financières individuelles, les rapports contractuels négociés, voire l’anticipation d’une éventuelle rupture auxquelles les convie le droit. Mais plus encore, tout porte à croire que les normes légales et conjugales contemporaines s’éloignent de plus en plus les unes des autres, réduisant de manière significative l’effectivité des premières au profit des secondes. Si l’étude des représentations sociales contemporaines de la vie conjugale est d’intérêt pour la sociologie, elle trouve sa pertinence également au creux des enjeux législatifs actuels de plusieurs sociétés parce qu’elle met en lumière les rapports 2 Quand l’amour et l’État rendent aveugle qu’entretiennent les individus avec le droit au creux de leurs rapports intimes. Le débat actuel sur la pertinence d’encadrer légalement ou non les unions libres, qui n’est pas sans écho ailleurs dans le monde bien que sous des tonalités différentes, se polarise actuellement entre deux positions: celle qui prône le respect du «libre choix» des conjoints de fait de ne pas vivre dans les cadres du mariage et celle de la «protection» du conjoint le plus vulnérable. Cet essai, par les questions qu’il soulève, souhaite éclairer d’un point de vue sociologique ce débat qui se déploie actuellement devant les tribunaux1. Deux lignes de force traversent l’ensemble de l’ouvrage. La première renvoie à l’attention portée aux normes plurielles et changeantes qui convergent autour du mariage et de la vie conjugale au fil de l’histoire. L’angle privilégié vise à identifier les changements de mœurs en examinant tour à tour le rôle du droit, de l’Église, de l’économie dans les transformations des rapports conjugaux et des normes qui les accompagnent. La seconde ligne de force concerne plus spécifiquement l’étude détaillée de l’usage des mots, usuels ou spécialisés, de leurs sens, de ce qu’ils évoquent en termes de valeurs, de normes. Les mots s’avèrent être, en effet, de puissants révélateurs de conceptions, car, au-delà des discours convenus, ils véhiculent les normes et valeurs de la culture ambiante. Par exemple, tout au long du livre, une attention particulière est accordée aux significations données aux termes d’adresse (conjoints, chum/blonde, mari/femme, copain/copine, etc.), à ceux qui désignent des relations (union libre, accotés*, concubinage, etc.) et des catégories juridiques (conjoint, union...

Share