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QU’EST-CE QU’UNE LECTURE ÉVOLUTIONNISTE? Introduction Tout aurait pu commencer le samedi 21 août 2010. Nous sommes à la Place d’Youville, à Québec, sur le parvis du Palais Montcalm, attendant que les portes s’ouvrent avant le concert auquel nous sommes venus assister. C’est le début d’une paisible soirée d’été. Sous nos yeux, en contrebas, des adolescents font étalage de leurs prouesses sur planches à roulettes. L’un d’entre eux en particulier, habillé dans une dominance grise, répète à plus soif le même exercice qui consiste à prendre son élan, sauter par-dessus une volée de marches, faire pivoter sa planche sur elle-même dans l’axe de sa longueur (kick flip), pour retomber dessus et finir sa course sur la place. Il est observé par plusieurs de ses coreligionnaires en toute bonne conscience. Mais à chaque fois le malheureux rate son coup, et jure à sa propre adresse et à celle des autres venus sans doute le soutenir dans son effort. Il a quelque chose du Sisyphe à remonter inlassablement dans le kiosque pour recommencer sa voltige… et la rater. L’un de ses copains le filme scrupuleusement, espérant évidemment capturer sur son iPhone la prouesse de son ami et concurrent à la fois. Les passants sillonnent la place sans prêter trop d’attention à ce jeune athlète conquérant autant qu’assidu. Surgissent du fond de la scène un groupe de filles joyeuses qui se plantent légèrement en retrait du lieu d’exécution de notre jeune apprenti. Il les a immédiatement aperçues, et l’on sent qu’il redouble d’effort. Sa posture a changé, il a redressé le buste et ses jurons sont beaucoup plus appuyés quand il retombe à côté de sa Trois pour u5 2 planche ou que celle-ci n’a pas effectué le tour complet désiré. Il ne grommelle plus ses jurons, il les hurle. Les filles ricanent entre elles tout en observant discrètement ce qui se passe. Survient alors un autre planchiste. Il a l’air encore plus jeune, et est vêtu de manière très colorée, à dominante rouge. Très à l’aise, il zigzague parmi ses amis, et tourne autour de son infortuné compère. Il se met en place et, sans effort apparent, accomplit avec brio du premier coup ce que l’autre s’acharne à faire depuis une demi-heure, mais n’en tire aucune fierté excessive. Tout le monde le regarde et l’admire. Il le sait: il n’a pas besoin de forcer son jeu, c’est lui le maître ès planches. Cependant, notre premier exécutant parvient – enfin – à réussir à son tour: parfait atterrissage et fin de course en douceur. Applaudissements immédiats. Il a été filmé avec succès puisque le jeune cinéaste s’affaire manifestement à envoyer à tout son entourage le clip vidéo de quelques secondes de son éphémère exploit, après l’avoir repassé avec fierté à sa garde rapprochée. Le chevalier rouge vient discrètement l’adouber en lui serrant la main façon hip-hop, tout en continuant de sillonner la place dans tous les sens, comme pour gérer son territoire. Les garçons sont regroupés dans leur coin et les filles, dans le leur, qui bientôt vont s’éparpiller. Tout cela a duré quelque quarante-cinq minutes, et Martin Winckler n’a cessé de commenter ce que nous voyions, avec précision et humour. C’est l’anthropologie évolutionniste qui lui a fourni le métalangage nécessaire à la description de cette scène d’étalage de la forme physique et des compétences sportives (fitness display), et donc in fine de la survivance de l’individu par la reproduction . Nous avons assisté à une métaphore de la danse du paon avant la copulation avec la femelle qui l’aura choisi pour la qualité ostensible de ses gènes, archétype de la sélection sexuelle s’il en fût. La planche à roulettes se substituait à la lourde et encombrante queue du paon, double illustration du principe évolutionniste du handicap, selon lequel le coût élevé de l’étalage de la forme exclut les porteurs de gènes faibles. Ici, le prétendant en gris n’avait de cesse de se mettre à la hauteur du chevalier rouge, car les femelles l’observaient, en groupe (donc en sécurité), de leur côté. Lorsque l...

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