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QUI SUIS-JE? Épilogue Marc Zaffran et moi avons le même âge à un mois et un jour près. Je ne suis pas né en Algérie, mais plus platement Place d’Alleray dans le 15e arrondissement de Paris. Il y avait là à cette époque une usine des imprimeurs Brodard et Taupin. J’aime à croire que j’ai inhalé dans mes premières heures d’existence l’odeur de cellulose et de colle (prenez un vieux Livre de Poche, ouvrez-le en grand et plantez votre nez dans sa reliure, vous comprendrez), et que cela a déterminé ma passion pour la littérature. Au contraire de lui, j’ai eu une enfance sans histoire, ou plutôt, sans histoires, car je n’ai pas de souvenirs d’entendre mon père (ni ma mère) nous en raconter, à moi ou à mes frères. Je me les suis alors construites dans ma tête, d’abord, avant d’aller les chercher dans mes premiers livres. Lorsque j’ai lu Légendes, l’année de sa parution, je me suis rendu compte que Marc Zaffran et moi avions été formés par des premières lectures identiques: mêmes bandes dessinées, récits d’aventures, science-fiction… Nous avons sûrement été rivés en même temps sans le savoir au petit poste de télévision familial pour regarder les épisodes du Zorro de Walt Disney (avec l’inénarrable Guy Williams) qui passaient en France les jeudis après-midi (jour où il n’y avait alors pas d’école), ou les films du dimanche soir diffusés dans les années 1960 par la première chaîne, en noir et blanc: la RTF. Quelques années plus tard, ce fut sans doute avec la même stupeur que nous allions découvrir la série du Prisonnier avec Patrick McGoohan, séquestré dans ce fameux «Village» pris entre mer et montagnes. Était-ce sur la deuxième chaîne en couleurs? Lectures et distractions télévisées normales et attendues pour un enfant et un adolescent de notre génération, me direzvous . Oui mais pas seulement, car lui comme moi avons très tôt Trois pour u5 150 été attirés, comme par un aimant, par la culture anglo-saxonne et ses grands écrivains populaires, que ce soit Wells, Asimov, Conan Doyle ou Bradbury, desquels nous nous sentions plus proches que de Maupassant ou la comtesse de Ségur. Nos chemins sont restés parallèles pendant le lycée d’où, comme lui, je suis sorti avec un bac D en poche (sciences naturelles, maths, physique, chimie). Comme lui, mais quelques années plus tard, j’ai connu ma grande révélation nord-américaine. Il passa un an à Bloomington dans le Minnesota, moi, ce fut à Toronto en Ontario. Comme pour lui, le retour en France fut difficile. Or je ne suis pas devenu médecin, mais professeur de lettres. Peu après mon retour de Toronto, j’ai interrompu mes études d’anglais en province devant l’ineptie de l’enseignement dont nous jouissions alors, ou dont j’étais incapable de tirer profit. J’ai pris mes cliques et mes claques, et suis allé m’installer au Canada. Je me suis recyclé en études françaises avec un intérêt particulier pour la modernité et les écrivains qui pratiquent l’humour et triturent savamment et savoureusement la langue: Boris Vian, Raymond Queneau, Georges Perec, l’Oulipo. Pendant que j’étais un «lettreux», Marc Zaffran, «carabin», a fait sa médecine dans le sillage de son père, mais lui et moi sommes docteurs; nous soignons chacun à notre manière. Ainsi lorsque des étudiants viennent me consulter, il est fréquent que je leur conseille telle ou telle lecture, le chapitre d’un livre, un article, pour les guider dans leurs recherches. Je note des titres, des références sur un bout de papier qu’ils saisissent avidement. Je m’amuse à penser que c’est une sorte d’ordonnance . Mais au lieu de prescrire du Lexomil ou des antalgiques, je prescris du Roland Barthes ou du Brian Boyd. Soigner, enseigner, deux activités qui comportent plusieurs points communs: l’écoute, le partage, la patience, le respect de l’autre, quel qu’il soit, et le renouvellement incessant des connaissances. Je n’ai évidemment pas à gérer des cancéreux en phase terminale, ou à traiter des arriv...

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