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Chapitre 4 résilience territoriale et trajectoire technopolitaine Regard évolutionniste sur le cluster industriel et scientifique grenoblois Bruno moriset Depuis les travaux pionniers de Benko1 (1991) et Castells et Hall (1994), la géographie des clusters d’activités de haute technologie a fait l’objet d’une abondante littérature scientifique (Braunerhjelm et Feldman, 2006; Breschi et Malerba, 2005; Saxenian, 1994). L’aire urbaine de Grenoble (530 000 habitants) figure au nombre de ces pôles technologiques majeurs. Souvent présentée comme la Silicon Valley française, elle a suscité un grand nombre de monographies et de travaux comparatifs (Bernardy, 1997; Druilhe et Garnsey, 2000; Grossetti, 2001; Lawton Smith, 2003). 1. Prématurément disparu en 2009. L’auteur de ce chapitre souhaite lui rendre hommage. 84 Mondialisation et résilience des territoires Le succès de Grenoble peut paraître paradoxal. Enclavée dans une vallée étroite, la ville est située à l’écart des corridors de circulation européens. Ses aménités urbaines sont faibles. Vanier (2007, p. 13) évoque «une histoire urbaine très modeste» (28e ville de France en 1851) et «des handicaps en matière de qualité urbaine patrimoniale et d’accessibilité internationale». Comme Gloversville aux États-Unis (comté de Fulton, État de New York), Grenoble était au xixe siècle une capitale de la ganterie, qui employait 32 000 personnes en 1890. Dans les deux villes, la ganterie a quasiment disparu au cours du xxe siècle. Pourtant, alors que Gloversville n’est plus qu’une ville semi-rurale de 15 000 habitants (Trebay, 2009), Grenoble est devenue une métropole moyenne et un pôle technologique d’envergure mondiale. Pourquoi les événements ont-ils tourné d’une manière aussi différente dans les deux cas? Comment le tissu économique grenoblois a-t-il fait preuve d’une résilience suffisante pour affronter le défi de l’effondrement de son activité principale et prospérer dans une économie de flux mondialisée pour laquelle elle ne semblait guère favorisée par sa situation géographique? Les modèles de l’économie spatiale traditionnelle ou de la nouvelle économie géographique sont d’un faible secours pour expliquer ce paradoxe. Krugman (1991, p. 498) reconnaît que son modèle «ne dit rien sur la localisation d’un secteur économique particulier». Les éléments de l’écosystème local n’expliquent pas pourquoi l’histoire s’est déroulée à cet endroit et pas ailleurs. Pour répondre à cette question, nous proposons une approche évolutionniste (Boschma et Frenken, 2006), qui met l’accent sur les phénomènes de dépendance du sentier (path dependency) (Arthur, 1994; Martin et Sunley, 2006) en décrivant la chaîne des événements, le rôle des acteurs, leur interaction avec des contextes anciens (Storper, 2009). La première section de ce chapitre décrit l’écosystème innovant actuel, illustration du modèle de la «triple hélice» (Etzkowitz, 2008)2. La section 2 montre comment, depuis le milieu du xixe siècle, les inventeurs et entrepreneurs locaux ont mis à profit les conditions naturelles locales pour lancer le processus de croissance économique et technologique. Initiatives entrepreneuriales, programmes d’investissements publics et cycles d’innovation se sont succédé, compensant le déclin des industries plus anciennes. La réflexion évolutionniste met l’accent sur la coévolution des institutions avec l’économie locale (Nelson, 1995). La section 3 porte ainsi sur les institutions politiques et 2. Comme l’indique le titre de l’ouvrage d’Etzkowitz, la « triple hélice» est l’alliance entre l’industrie (R-D des entreprises), le gouvernement au sens large (laboratoires publics et politiques d’aide à l’innovation de l’État et des collectivités territoriales) et l’université (recherche et formation supérieure). La connotation « généticienne» de cette métaphore, inspirée de la structure de l’ADN, est adaptée à une conception évolutionniste du développement économique et technologique, dans laquelle les succès du présent seraient, en quelque sorte, inscrits dans les «gènes» du territoire. [3.133.79.70] Project MUSE (2024-04-23 22:20 GMT) Résilience territoriale et trajectoire technopolitaine 85 leur coopération fructueuse avec les acteurs économiques et scientifiques, favorisant la génération de cercles vertueux. La section 4 insiste sur «le chaînon manquant» de nombreuses analyses, qui est la guerre, «grand accélérateur de l’histoire». Le r...

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