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Chapitre 4 J’imagine pour vous! Le recyclage des imaginaires dans les périphéries urbaines Mayté Banzo, Éva Bigando, Laurent Couderchet et Frédéric Tesson L’importance des représentations est maintenant admise en géographie (Bailly, 1992). Depuis les années 1960, on assiste en France, à la suite des travaux anglo-saxons, au renversement de l’ordre des facteurs et à l’abandon de l’espace comme une finalité, pour aborder le rapport à l’espace des individus et des groupes. Ce renversement s’est manifesté notamment en géographie sociale avec les travaux de Renée Rochefort (1961, 1983), à qui l’on prête la maternité de cette prise en compte, et s’est traduit par l’ouvrage d’Armand Frémont, La région espace vécu (1976). Au-delà de la géographie sociale, c’est l’ensemble de la géographie humaine qui a vécu ce tournant épistémologique, comme l’analyse Bernard Debarbieux (1998). 80 L’imaginaire géographique Ainsi, à partir du moment où le rapport à l’espace devient premier, supplantant l’espace lui-même, le champ est ouvert à la prise en considération d’un rapport spatial laissant libre cours à l’intégration de toutes les formes d’imagination, à tous les imaginaires spatiaux présents dans la société. On définit souvent l’imagination et l’imaginaire en référence à Gaston Bachelard et à une citation qui est devenue un «classique» de la philosophie: On veut toujours que l’imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premi ères, de changer les images… Le vocable fondamental qui correspond à l’imagination, ce n’est pas image, c’est imaginaire. Grâce à l’imaginaire, l’imagination est essentiellement ouverte, évasive. Elle est dans le psychisme humain l’expérience même de l’ouverture, l’expé­ rience même de la nouveauté (Bachelard, 1943, p. 7). Ainsi, imagination et imaginaire renvoient à l’innovation du fait de leur caractère vagabond, hors de l’emprise du réel, façonné par l’esprit. L’innovation révélerait, selon Bachelard, une forme de liberté et de capacité créatives, même si elle peut difficilement se soustraire au principe du pilotage social de l’imagination, produit d’imaginaires socialement construits (Jodelet, 1989a). Nos représentations spatiales sont largement conditionnées par ces imaginaires. Lorsqu’on entre dans le champ de l’aménagement et qu’il s’agit d’inventer un avenir aux espaces et aux citoyens qui les vivent, la question des représentations et des imaginaires qui les façonnent se complexifie. En effet, se croisent ici la sphère politique, qui assure la maîtrise d’ouvrage, la sphère technique, qui assiste la maîtrise d’ouvrage et qui détient la maîtrise d’œuvre, puis la sphère sociale des habitants et des usagers, qui vont vivre, pratiquer et accessoirement financer ces aménagements. Notre propos sera ici d’interroger la manière dont se structurent les relations entre des représentations du monde construites sur des imaginaires qu’il est difficile de concevoir comme totalement en phase. Si l’on suit Bachelard, entrer dans l’action bloque l’imagination, fige la représentation dans la perception: «Une image qui quitte son principe imaginaire et qui se fixe dans une forme définitive prend peu à peu les caractères de la perception présente. Bientôt, au lieu de nous faire rêver et parler, elle nous fait agir. Autant dire qu’une image stable et achevée coupe les ailes à l’imagination» (Bachelard, 1943, p. 8). Cela posé, nous observerons ce qui se passe en amont, et donc comment, avant l’action, se structurent les imaginaires politiques et techniciens, puis comment ils se connectent à l’imaginaire [18.224.32.40] Project MUSE (2024-04-19 19:34 GMT) J’imagine pour vous! 81 social. Ces questions nous apparaissent d’autant plus importantes que l’injonction participative contenue dans tous les textes de loi depuis presque vingt ans en France renforce les risques d’éventuels hiatus. Nous avons choisi d’intituler notre texte «J’imagine pour vous!» pour bien signifier un paradoxe. D’une part, des procédures et dispositifs toujours plus aboutis de démocratie participative dans les projets d’aménagement sont censés les ouvrir à des imaginaires...

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