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INTRODUCTION Les paysages sylvestres et la dynamique de l’altérité [3.144.113.30] Project MUSE (2024-04-19 17:41 GMT) Lorsqu’on ne trouve plus de palier en soi pour ses pensées, on en cherche un dans les choses extérieures. Marie Le Franc Écrivaine-voyageuse difficile à classer, Bretonne d’origine et Canadienne française d’adoption, Marie Le Franc (1879-1964) a toute sa vie durant fait l’aller-retour entre les deux côtés de l’Atlantique, se sentant «sans cesse en état de voyage1» et poursuivant le rêve d’une «route qui n’en finit plus». Depuis les paysages fondateurs de la lande recouvrant la presqu’île de Rhuys dans le Morbihan jusqu’aux paysages découverts à l’âge adulte, ceux de la forêt laurentienne, de l’hiver canadien, des villages de pêcheurs gaspésiens, le rapport au territoire présent dans ses textes évolue, mais ce qui demeure constant, c’est l’appel du dehors. Toutefois, comme c’est le cas pour nombre de femmes écrivains du début du xxe siècle, son œuvre a d’abord été lue 1. « Je suis sans cesse en état de voyage », affirme-t-elle dans une causerie (­ dactylographiée) citée par Paulette Collet dans son ouvrage Marie Le Franc. Deux patries, deux exils (Sherbrooke, Naaman, coll. «Études», 1976, p. 60). [ 4 ] HÉLIER, FILS DES BOIS sous l’angle biographique, la personne occultant les textes2 . On y a mis en évidence la déception amoureuse, la quête de soi; on s’est interrogé sur ses relations avec le milieu intellectuel canadien-français, sur le fait (plutôt inhabituel pour ­ l’époque) qu’elle n’ait pas cherché à s’intégrer au milieu littéraire en France. Il faut tout de même rappeler qu’elle a participé à la fondation de l’Académie de Bretagne en 1937 en y occupant le poste de vice-présidente, mais cela n’a pas marqué l’histoire littéraire. Ainsi, curieusement, Marie Le Franc est très rarement considérée comme une écrivaine-voyageuse, même si certains de ses textes ont été publiés dans la collection « Voyageuses de lettres» des éditions Fasquelle. C’est le cas du livre intitulé Au pays canadien-français (1931), ayant reçu le prix Montyon de l’Académie française, encore aujourd’hui vu par la critique comme un recueil d’essais3 . À l’instar des récits de voyage, ses romans mettent en avant la relation de l’être humain avec l’espace: les paysages y jouent un rôle prépondérant étant donné qu’ils déterminent à la fois les traits des personnages, leurs passions et leurs actions. Leur­ intrigue elle-même y est subordonnée, tout comme la psychologie des personnages, qui apparaissent plus grands que 2. Plusieurs études, comme celle de Paulette Collet déjà citée (Marie Le Franc. Deux patries, deux exils) ou encore l’ouvrage de Madeleine Ducrocq-Poirier, Marie Le Franc. Au-delà de son personnage (Montréal, Éditions La Presse, coll. «Jadis et Naguère», 1981, 221 p.), s’intéressent d’abord et avant tout à la dimension biographique de ses romans, notamment aux échecs amoureux. 3. Voir à ce sujet l’article que j’ai consacré aux paysages hivernaux chez l’auteure :«Les silencieux hivers de Marie Le Franc», Kathleen Gurrie, Denise Brassard et André Carpentier (dir.), Un fleuve, l’hiver, Montréal, La Traversée-Atelier québécois de géopoétique, coll. «Carnets de navigation», no 5, 2008, p. 26-28. [ 5 ] INTRODUCTION nature4 . Il est donc possible de les lire comme des romans géographiques, proposant avant tout l’écriture (graphie) d’une région particulière de la Terre (géo)5 . C’est sous cet angle que je propose de lire ce qui apparaît aujourd’hui comme la première incursion littéraire féminine dans la forêt nordique, à savoir le roman Hélier, fils des bois, publié pour la première fois à Paris en 1930 aux éditions Rieder dans la collection « Prosateurs français contemporains ». Afin de mieux comprendre comment s’y déploie l’imaginaire de la forêt, il importe de saisir d’une part la construction du paysage sylvestre à l’œuvre dans le roman, et d’autre part la question de l’altérité. La distance et l’expérience du déplacement sont en effet au c...

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