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XXVIII Renaut était revenu passer le week-end. Il fut décidé que Julienne partirait en même temps que lui. Hélier Le Touzel viendrait fermer le cottage de la Baie-aux-Ours et les mènerait ensuite tous les deux à la station. La veille du départ, Julienne, fière de la connaissance qu’elle avait acquise de la forêt, proposa à Renaut de le conduire au sommet de la Palissade. Il faisait une journée exceptionnellement chaude pour la saison. Ils longèrent en bateau le rivage de la Baie-aux-Ours, qu’il fallait observer attentivement pour découvrir le trail allant dans la direction de la Palissade. Ils n’avaient point pris de boussole, mais comme la montagne était visible du lac, ils se croyaient sûrs d’y arriver sans difficulté. Le trail était nettement marqué et assez large, au départ, pour qu’ils pussent y marcher de front. Ils allaient sans se hâter, dans ce tiède jour d’automne, épaule à épaule, l’esprit détendu, l’humeur légère. Julienne riait souvent, de ce rire éclaté et chaud, qui surprenait dans son visage sérieux. La forêt, à demi dépouillée, n’imposait plus sa présence. Elle ne donnait plus envie de lutter contre elle. Il n’y avait pas d’inquiétude à avoir, [ 232 ] HÉLIER, FILS DES BOIS car le chemin suivait pendant un certain temps le lac. Il se rétrécit peu à peu, parut s’user plutôt que s’effacer, et à certains endroits se diviser. On croyait voir trois ou quatre sentiers au lieu d’un, allant dans différentes directions, se détachant de la terre pour monter parmi les arbres. Le regard hésitait un moment, puis retrouvait son assurance. Il venait sans doute d’être en proie à une sorte de mirage. Car il n’y avait évidemment qu’un seul trail, qui allait tout droit. Il n’était pas possible de se tromper. Et les deux coureurs d’aventure raffermissaient le pas. Ils n’apercevaient plus le lac, et la Palissade avait disparu. La marche devenait plus difficile. Ils commençaient de nouveau à sentir autour d’eux une troublante présence. Julienne constata qu’il était midi à sa montre: ils marchaient donc depuis trois heures et ils auraient dû main­ tenant se trouver au sommet. Peut-être s’étaient-ils trompés de chemin. – Si nous revenions, proposa Renaut. Je crois que ce serait plus sage. Je vous avoue que je commence à avoir faim, et cette Palissade a l’air de s’être évaporée. Elle éprouva de l’irritation contre elle-même: elle avait cru si facile de mener à bien l’excursion, et inconsciemment pris l’attitude insouciante d’Hélier au milieu des bois. Elle était ennuyée que Renaut proposât de revenir. Il ne montrait pas assez de persévérance à son gré. Il lui semblait que l’ascension de la Palissade devait être le couronnement de leur été. Elle voulait se pencher à ses côtés au bord du roc vertigineux d’où elle lui montrerait la cuve du Tremblant et les sinuosités de la Cachée, puis se laisser glisser avec lui le long de la faille du torrent, vers [18.189.2.122] Project MUSE (2024-04-19 03:26 GMT) [ 233 ] HÉLIER, FILS DES BOIS la terrasse lumineuse, d’une paix d’éternité, d’où on n’entendait plus battre le cœur du monde. Jusqu’à présent, c’était Hélier Le Touzel qu’elle voyait près d’elle, sur cette terrasse. Il fallait lui substituer Renaut, se débarrasser d’une hantise. Mais Renaut avait faim ! Renaut invoquait la sagesse au milieu des grands bois déréglés. Il ne brûlait plus de la fièvre des découvertes. Elle acquiesça. – Il serait intéressant de revenir par un autre chemin, dit-il, en obliquant vers une colline qui bordait le trail. Julienne murmura: – Nous allons nous écarter… Mais il y avait déjà de l’allégresse dans sa voix, un défi à la forêt et à son compagnon. Prendre un autre chemin, c’était avoir de nouveau l’inconnu devant soi, l’aventure qui tendait son appât. Le mot revenir l’amusa. Ils seraient peut-être obligés de rester quelques heures de plus sur leur faim. La voix de la prudence fut étouffée. Elle se traça...

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