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XXII L’automne s’annonçait. Quelques érables dressaient déjà, dans la masse encore verte des feuilles, leur quenouille flamboyante, et les peupliers secouaient leur plumage doré. Le cottage devenait presque inhabitable, à cause du froid. Il fallait songer au départ. Il fallait aussi profiter des derniers beaux jours. Le Tremblant se vidait de ses hôtes. Renaut Saint-Cyr était parti à la fin de son congé, et il ne devait revenir que pour les week-ends. Hélier débarqua, par un matin ensoleillé, dans la Baie-auxOurs , sa carabine à l’épaule, suivi d’un jeune chien épagneul qu’il avait dressé pour la chasse. Julienne l’attendait. C’était sans doute leur dernière excursion ensemble. Elle portait une veste de cuir fauve, de hautes bottes, car les bois après les pluies récentes ruis­ selaient d’eau. Sur le conseil de Hélier, elle se coiffa d’un béret rouge. Lui‑même portait un gilet de cette couleur. – Il ne faut pas courir de chance, dit-il. Les premiers jours de chasse, on risque de rencontrer des maladroits qui tirent sur tout ce qu’ils voient grouiller. [ 184 ] HÉLIER, FILS DES BOIS Ils se mirent en route. La gelée transformait les herbes en fleurs-fantômes, et prêtait au sous-bois une apparence mys­ tique. L’air donnait l’impression d’un cristal qu’on brisait de son haleine à mesure qu’on avançait. On marchait la tête haute, et respirer était un plaisir divin. Les feuilles craquaient sous le pied. La terre faisait songer à un animal qui se hérissait à l’approche de l’homme. – Ah! dit Julienne, comme se parlant à elle-même, si on pouvait découvrir un autre petit lac Vert… Toute sa nostalgie de révélations que la forêt contenait encore mais refusait de faire, cette soif d’inconnu qu’elle n’avait pu rassasier, ce regret qui lui étreignait le cœur à la pensée qu’il allait falloir s’arracher à la grande vie exaltante, se résumaient dans ce souhait poignant, ardent, peut-être puéril, de se trouver tout d’un coup sur les bords d’un lac qu’aucun regard humain n’avait défloré, enclos jalousement dans les profondeurs de la forêt. Elle en prendrait posses­ sion au moment où ses yeux se poseraient sur lui, elle en emporterait la vision pour l’avenir. Il ne se révélerait pas en entier. Il disparaîtrait au loin dans la brousse, forçant l’esprit à le suivre dans ses secrets détours. Elle lui prêterait des proportions infinies. Ce lac sans nom lui appartiendrait comme le lac Vert appartenait à Hélier, lui donnerait un peu de sa puissance mystérieuse. Plus tard, il reviendrait se blottir à ses pieds, terriblement présent et inaccessible, dans la maison compacte des villes. Elle croirait toucher l’eau au milieu des pierres. Elle aurait un moment de mirage, d’évasion… – Certainement, dit-il. Je vais même vous en montrer un où j’ai une cabane. Nous ferons du feu. [18.116.90.141] Project MUSE (2024-04-25 14:12 GMT) [ 185 ] HÉLIER, FILS DES BOIS Heureux Hélier qui possédait des cabanes éparpillées dans la forêt!... Faire du feu, promesse mystérieuse, barbare, humaine. Il marchait en tête, en suivant la faille d’un torrent. De temps en temps, il se retournait pour lui dire où il fallait poser le pied. Il remarqua qu’elle traversait les endroits les plus ­ difficiles avec précipitation. – Pas si vite, pas si vite! répétait-il en la surveillant de loin. Il faut être prudent. Une fois qu’elle était tombée et qu’elle croyait qu’il ne s’en était pas aperçu, elle le vit qui attendait, et quand elle l’eut rejoint, il dit sans sarcasme apparent: – Il n’est pas nécessaire de mettre le pied dans chaque trou. Il était étonnant de voir avec quelle légèreté il avançait, en regardant à droite et à gauche, la tête haute, sans se préoccuper du sol raviné. Il donnait l’impression de n’avoir plus de poids. Quand il disparaissait parmi les branches, on songeait au mot anglais elusive. C’était elle qui malgré son application faisait craquer les feuilles. Toute la faune devait être avertie de leur approche. – Je fais autant de bruit qu’un orignal, dit...

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