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2 Les solidarités conjugales dans le droit du mariage et le droit du non-mariage • • • Jean-Louis Renchon 32 Aimer et compter? Le mariage et le couple non marié L’atténuation progressive d’une opposition radicale Il n’y a guère longtemps, tout opposait le mariage et ce qu’on nommait généralement le concubinage. C’était fort simple: il n’y avait, pour le droit, que le mariage; le concubinage était, par contre, «hors-la-loi». La radicalité de cette opposition n’était d’ailleurs pas seulement exprimée dans les règles de droit. Elle correspondait plus fondamentalement à la vision sociale de l’«ordre des familles» et à ce que les juristes appelaient, comme dans l’article 6 du Code Napoléon, les «bonnes mœurs». Dans cette perception des choses, il n’y avait qu’une seule manière de légitimer une vie en couple. C’était celle qui était instituée et organisée par la société – le mariage – et cette manière-là était la seule légitime parce qu’elle était au fondement de la famille. C’est par le mariage, en effet, que les époux allaient d’abord s’intégrer dans la famille de leur conjoint en vertu du lien d’«alliance» qui les unirait désormais à leurs «alliés», c’est-à-dire les parents de leur conjoint, et qu’ils allaient ensuite eux-mêmes fonder une famille dont les enfants appartiendraient de plein droit aux familles respectives de leur père et de leur mère, en vertu du lien de «parenté» qui les uniraient à chacun des membres desdites familles (leurs grands-parents, leurs oncles et tantes, leurs cousins, etc.). L’institution sociale du mariage était donc l’élément clé de l’organisation de la famille et de ses ramifications; et c’était parce que l’union d’un homme et d’une femme se concrétiserait logiquement par la procréation d’enfants et la naissance d’une descendance qu’il était fondamental d’inscrire socialement et juridiquement ces enfants dans leur lignée familiale et de consolider socialement et juridiquement la nouvelle famille créée par les époux qui pourvoiraient à l’entretien, l’éducation et la socialisation desdits enfants. Comme l’avaient encore pensé les démocrates européens qui, après les souffrances infligées aux peuples d’Europe par le régime hitlérien, s’étaient souciés de consacrer les droits fondamentaux de la personne humaine dans une Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée le 4 novembre 1950, «à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit» (art. 12). Alors même qu’il s’agissait de consacrer les libertés du citoyen et de le protéger des velléités totalitaires des autorités publiques, on ne concevait pas, à l’époque, qu’il pouvait y avoir une autre vie en couple à prendre en compte que le mariage et, surtout, que le mariage n’aurait pas été nécessairement, voire «naturellement», associé à la procréation, puisque, à leurs yeux, le droit de se marier était, dans le même mouvement, celui de «fonder une famille». [18.221.53.209] Project MUSE (2024-04-19 00:44 GMT) Les solidarités conjugales dans le droit du mariage et le droit du non-mariage 33 L’institution sociale du mariage se caractérisait, dans un tel système de pensée, par quatre grands traits distinctifs. 1. En premier lieu – et c’était probablement l’élément le plus fondamental qui permettait d’expliquer tous les autres –, le mariage, même s’il instituait des liens juridiques de nature civile ou privée, était mis en œuvre et organisé par la société à des fins sociales (et non précisément pas privées). L’obligation de se marier pour pouvoir vivre en couple et, même, entretenir licitement des relations sexuelles était imposée par la société parce qu’il était indispensable, à ses yeux, que l’homme et la femme adhèrent aux finalités d’intérêt collectif qu’un mariage était nécessairement censé poursuivre et réaliser: la régulation de la sexualité, la perpétuation de l’espèce et des familles1, la structuration de la famille, les soins, l’éducation et...

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