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7 La question du logement conjugal au moment du divorce • • • Veronika Nagy De plus en plus, le droit au logement s’affirme comme un droit de l’homme, et le droit du logement comme une spécialité. L’un et l’autre sont cependant en cheville avec le droit de la famille. C’est tout naturel: les logements, comme les nids, ont une vocation familiale. Jean Carbonni er1 1. Cité dans Bosse-Platière, 2005, p.  200. 144 Aimer et compter?«Et ils se battirent jusqu’à la dernière petite cuillère.» Ainsi pourrait se terminer une fable moderne mettant en scène des conjoints n’ayant pas su divorcer correctement, proprement, paisiblement. Car, à l’heure où rien n’est plus valorisé que la négociation et la résolution des conflits par les justiciables eux-mêmes, à l’heure où l’on enjoint aux époux de se séparer de la façon la plus douce qui soit – notamment dans l’intérêt de leurs enfants –, les mauvais élèves du divorce sont assurément ceux qui semblent s’adonner à de viles pulsions mercantiles. Sans doute parce que la comptabilité, le calcul parcimonieux, la cupidité mesquine incarnent à l’extrême ce que nous avons du mal à penser aujourd’hui en matière conjugale: le fait que le couple n’est pas une pure relation affective isolée de la sphère économique, mais met également en jeu de l’argent et des biens. En effet, au-delà des représentations qui tendent à mettre ­ l’accent sur l’authenticité du lien de personne à personne, force est de reconnaître, et cela est particulièrement apparent au moment des ruptures, qu’une vie commune s’ancre aussi dans des éléments matériels. Cependant, une fois ce constat effectué, toute la difficulté est de ne pas­ appréhender le matériel et l’affectif comme deux dimensions qui coexisteraient simplement au sein du couple, pour tenter de les penser ensemble, comme les deux facettes d’un même lien. Afin d’essayer d’avancer sur cette voie, nous nous proposons ici de nous saisir de la question du logement conjugal dans les procédures de divorce, et cela, dans une perspective relevant de la sociologie du droit2. En effet, de par sa nature même, l’objet paraît porter en lui cette dualité qui nous intéresse: d’une part, il est le lieu de la communauté de vie, le cadre de la relation affective entre les personnes; d’autre part, il est un bien, une chose, qui constitue une richesse ou encore génère des dépenses. Quant à la démarche consistant à s’appuyer sur un matériau juridique, elle permet, pour peu qu’on pose sur le droit un regard non dogmatique, de donner accès à des principes de justice généraux, utiles pour se déprendre de l’immédiateté des relations interpersonnelles. En l’occurrence, une rapide revue des droits occidentaux du divorce confirme justement l’intuition d’avoir affaire à un élément singulier. De cette façon, il apparaît que, dans tous les pays européens3, le logement du couple marié – dont l’appellation peut varier selon les langues et législations nationales – fait toujours, d’une façon ou d’une autre, l’objet d’un règlement au moment de la procédure judiciaire. Autrement 2. Cet article s’inscrit dans le cadre d’une thèse en cours de finalisation consacrée au sort du logement conjugal dans les procédures de divorce, réalisée sous la direction d’Irène Théry. 3. À l’exception de Malte, où le divorce n’est pas autorisé. [3.141.24.134] Project MUSE (2024-04-23 17:03 GMT) La question du logement conjugal au moment du divorce 145 dit, partout cette question est inscrite sur la liste des points à traiter nécessairement pour qu’un mariage puisse être légalement dissout, tandis qu’en corollaire, il n’est nulle part de divorce valide si elle n’a pas été tranchée en cours ou en fin d’instance. Or, cela distingue justement le logement principal du couple de tous les autres biens du mariage: on peut rompre un lien matrimonial sans avoir organisé le devenir d’un véhicule, d’une résidence secondaire ou d’un tableau de maître; mais le juge du divorce énoncera toujours, au moins en ce qui concerne son usage, des dispositions...

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