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6 L’évolution de la politique législative de l’union de fait au Québec • • • Alain Roy 114 Aimer et compter? Au Québec, la progression de l’union de fait figure au rang des phénomènes sociaux les plus fascinants des 30 dernières années. De 1981 à 2001, la proportion de couples vivant en union de fait est passée de 7,9% à 28,8% (Girard, 2007, p.  66). Selon Statistique Canada, cette croissance se serait poursuivie entre 2001 et 2006 (Statistiques Canada, Recensement de 2006, p.  10). Chez nous, observe-t-on, plus du tiers des couples opteraient pour l’union de fait, une proportion nettement supérieure à celle que l’on peut observer dans les autres provinces canadiennes (Bourgault-Côté, 2007). Dire que le droit reflète les changements sociaux est un lieu commun, mais un lieu commun qui se révèle plus véridique que jamais. Si le législateur québécois faisait autrefois preuve de grande retenue à l’égard de l’ensemble législatif dont il voulait préserver la cohérence, il n’hésite plus aujourd’hui à recourir au droit pour normaliser les problématiques sociales émergentes (Morin, 2007, p.  344-350). L’évolution des règles juridiques applicables à l’union de fait est très révélatrice de cette tendance. Depuis 1980, le législateur québécois est intervenu à plusieurs reprises pour consolider le statut des conjoints de fait. Dans plusieurs sphères juridiques, ceux-ci peuvent aujourd’hui prétendre aux mêmes prérogatives que les conjoints mariés. En droit social et fiscal, plus rien ne distingue désormais les uns des autres. L’assimilation des conjoints de fait aux époux n’a toutefois jamais franchi le seuil du droit privé. Contrairement à une certaine croyance populaire, les conjoints de fait n’ont pas, au Québec, de droits et d’obligations l’un à l’égard de l’autre. Comment expliquer cette absence d’encadrement? Faut-il y voir, comme certains le soutiennent, la dernière manifestation du manque de déférence législative dont les conjoints de fait ont été longtemps l’objet en droit québécois? L’absence d’encadrement s’expliqueraitelle plutôt par une vision distinctive des rapports qu’entretiennent les conjoints de fait? En s’abstenant de réglementer leur relation, le législateur québécois adhérerait-il à une conception de l’union de fait dénuée de la solidarité sous l’angle de laquelle il envisage traditionnellement la relation des époux? Faut-il plutôt chercher l’explication du côté des principes du libre choix et de l’autonomie de la volonté, le législateur cherchant simplement à respecter la volonté de ceux et celles qui, ne se mariant pas, manifeste­ raient implicitement leur intention de demeurer en marge des cadres légaux? Telles sont les questions auxquelles nous nous attardons dans le présent texte. La politique législative applicable aux conjoints de fait québécois a connu une évolution en deux étapes, chacune d’elles correspondant à l’une des parties de l’exposé. Dans une première partie, il sera question des interventions législatives au moyen desquelles l’union de fait a pu franchir la frontière de l’illicéité et acquérir la légitimité sociale dont elle bénéficie aujourd’hui. La seconde partie fera état des interventions [3.142.197.212] Project MUSE (2024-04-26 05:09 GMT) L’évolution de la politique législative de l’union de fait au Québec 115 qui, de manière progressive, ont permis à l’union de fait d’intégrer formellement le corpus législatif. Nous discuterons des normes successivement introduites à la lumière des travaux parlementaires et, le cas échéant, de la doctrine et la jurisprudence1. Au terme de notre analyse, nous serons à même de constater que la politique législative à laquelle sont soumis les conjoints de fait en droit privé québécois2 repose sur une position de principe résolument axée sur les valeurs de liberté et d’autonomie. Une entrée en douceur dans la sphère de la licéité La traditionnelle suprématie du mariage Si l’union de fait représente aujourd’hui une manière socialement et juridiquement acceptable de vivre une relation conjugale, il n’en a pas toujours été ainsi. Avant la réforme du droit de la famille de...

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