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C h apitr e 5 Interactions et pratiques du théorique en travail social François Huot Le travail social éprouve de sérieuses difficultés dans ses rapports avec le monde de la théorie. Ces difficultés se manifestent bien sûr dans l’imprécision théorique qui caractérise le travail social, dans l’absence de théorie unificatrice, de modèle à portée générale dont le travail social pourrait revendiquer l’utilisation exclusive ou même, d’un vocabulaire commun dépourvu d’ambiguïté. De leur côté, les praticiens peinent à nommer le théorique qui se retrouve dans leur pratique (Couturier et Huot, 2003). Lorsqu’ils sont interrogés sur les fondements théoriques de leur action, sur l’origine ou la nature des approches ou modèles utilisés, les réponses demeurent difficiles . Selon le cas, on apposera une étiquette qui permet tout au plus de nommer une pratique («J’utilise l’approche systémique»), sans regarder si celle-ci correspond réellement au modèle proposé. Ou bien, on déploiera un discours général construit autour de mots valises et de concepts plus ou moins définis («Je travaille en empowerment»). On affirmera que l’on utilise une approche mixte et éclectique et que l’on change de modèle théorique au gré des situations rencontrées et des besoins de la pratique. Au pire, on niera la présence du théorique dans la pratique, parlant alors d’expérience et d’un savoir indicible, souvent d’ordre axiologique, qui est limité au monde des intervenants et, conséquemment, ne peut être soumis à l’appréciation ou à la critique. Manque réel, manque massif et manque 116 Le travail social affligeant, affirme Karsz «parce que pris dans des pratiques dont la ­ théorie fait massivement défaut, les praticiens ne dépassent pas le cas par cas, la tranche de vie, l’anecdote plus ou moins pittoresque» (Karsz, 2004, p. 5). Cette question du rapport entre théorie et pratique, entre les savoirs générés dans le monde de la recherche et ceux qui émergent de la pratique, demeure un enjeu central pour le travail social. Par exemple, Kérisit (2007) parle de la nécessité de s’interroger sur les causes de la distance entre le monde de la recherche et celui de la pratique. Turcotte (2009) lie la capacit é du travail social de s’appuyer sur des connaissances provenant des activités de recherche à sa reconnaissance publique. Racine (2007) explique le silence des praticiens ou leur malaise à dire leur pratique par la hiérarchisation des formes de savoir. De nombreuses activités pédagogiques dans le cadre de formation en travail social insistent sur la nécessité d’une intégration de la théorie et de la pratique chez les intervenants en devenir . Interventions certes fort louables, mais qui enferment le débat dans un paradoxe autopoïétique où les tentatives de clarifier ou de transformer la nature du lien entre les deux mondes passe nécessairement par le­ renforcement de leurs différences. Au-delà des rapports plus ou moins chaleureux entre le monde de la recherche et celui de l’intervention, ce chapitre s’intéresse aux manières dont la théorie est utilisée au moment de la pratique dans l’espoir qu’un recadrage épistémologique de ce qu’est une théorie et de ce que l’on peut en faire pourra s’avérer utile. Une telle démarche suppose que l’on puisse parler de théorie d’une manière différente, le pari étant qu’en parlant autrement, la question des liens entre théorie et pratique pourra se poser dans une nouvelle perspective. L’examen de ces questions se situe habituellement dans une logique cartésienne où la pensée est à la fois séparée de l’action et la précède, où la vérité est atteignable et présente un caract ère universel et où le langage reste un instrument qui permet d’exprimer la pensée intérieure de chacun. Les quelques pages qui suivent explorent les problèmes liés à l’utilisation d’un tel modèle et en présentent une reformulation en s’appuyant principalement sur l’idée développée par Wittgenstein (2004) voulant que la signification d’un mot, d’une expression ou d’un récit...

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