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La vulnérabilité organisationnelle sous la loupe Entre fragilité et ignorance1 Christophe Roux-Dufort Professeur agrégé, Département de management, Université Laval Souvent résumées à des événements majeurs comme les catastrophes naturelles, l’effondrement d’Enron ou les attentats du 11 septembre, les crises sont naturellement perçues comme des situations d’exception. Les recherches en management dans ce champ puisent d’ailleurs souvent leur légitimité dans la puissance de l’événement qu’elles étudient. Plus l’événement est critique, plus il légitime l’investigation scientifique comme si l’incompréhension qu’il sème justifiait à elle seule un impératif de connaissance. Or nous pensons que le caractère exceptionnel des situations qu’elle traite contribue à éloigner la gestion de crise des préoccupations des sciences de gestion et la rend faiblement légitime au sein de cette discipline. La trajectoire prise récemment par les chercheurs semble par ailleurs sceller plus encore sa destinée. Depuis quelque temps en effet, les auteurs substituent volontiers au concept de crise une inflation d’adjectifs et de notions préfigurant, selon eux, une nouvelle génération d’événements échappant totalement au contrôle et à la compréhension des organisations et rendant obsolète l’ensemble des concepts, des méthodes 1. Cet article est une adaptation de l’article « The Devil Lies in Details ! How Crises Build Up within Organizations», publié en 2009 dans la revue Journal of Contingencies and Crisis Management, vol. 17, n° 1, p. 4-11. La gou v ernance . Frontières, dispositiFs et agents 224 et des outils qui jusqu’alors ont été proposés. On parle ainsi de rupture plutôt que de crise (Lagadec, 1999) ou d’«inconcevabilité» plutôt que d’incertitude (Rosenthal, 2003). Bien qu’une partie de ces analyses soient justes, ces renchérissements sémantiques l’éloignent plus encore des préoccupations des dirigeants et des chercheurs en gestion. Quoi qu’il en soit, le concept de crise n’a jamais véritablement percé en management alors qu’il a acquis depuis longtemps ses lettres de noblesse dans d’autres disciplines des sciences sociales et humaines comme en économie, en sciences politiques ou en sociologie. Dans ces disciplines, la crise est un concept structurant cherchant à décrire à la fois un processus de rupture et de reconfiguration des équilibres. En management , l’étude de la gestion des crises est principalement conçue comme l’analyse des modes de gestion destinés à canaliser des événements hors normes dont la définition de Pearson et Clair (1998) fournit une bonne illustration: «Une crise organisationnelle est un événement faiblement probable, dont l’incidence menace la viabilité de l’organisation et se caract érise par l’ambiguïté de ses causes, de ses conséquences et des moyens de résolution ainsi que par la croyance que les décisions doivent être prises rapidement»2 (Pearson et Clair, 1998, p. 60). Ainsi, en management, la crise est incontestablement définie comme un événement d’exception brisant la trajectoire de croissance d’une ou de plusieurs organisations dans un temps et un espace donnés. Cette nature exceptionnelle revient fréquemment dans les définitions propos ées par les auteurs dans lesquelles les crises sont conçues comme des ruptures dangereuses et nocives qui menacent la survie de l’organisation (Reilly, 1993) ou comme des événements imprévus ayant une probabilité d’occurrence faible et des répercussions élevées (Pearson et Clair, 1998; Shrivastava, 1992; Weick, 1988). Les contributions récentes considérant l’«inconcevabilité» comme une nouvelle propriété des crises évoquent souvent la nature non programmée, non structurée, non planifiée et inattendue des crises (Rosenthal, 2003, p. 132). L’effet de surprise est donc un ingrédient important de la crise (Hermann, 1963; Reilly, 1993; Smart et Vertinsky, 1984), mais la pression inhabituelle du temps, l’irruption de parties prenantes multiples ainsi que le mouvement brownien des événements sont aussi des incontournables pour évoquer la manifestation 2. Toutes les citations issues d’articles ou d’ouvrages anglais sont des traductions libres. [3.144.212.145] Project MUSE (2024-04-24 08:07 GMT) la vulnérabilité organisationnelle sous la loupe 225 des crises (Billings, Millburn et Schaalman, 1980; Lagadec, 1991). C’est pourquoi dans l’esprit des auteurs la priorité des gestionnaires consiste à rétablir un équilibre au plus vite avant que d’autres déséquilibres...

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