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CHAPITRE 7 Le levier de la décentralisation1 Avec la responsabilisation de l’État, qualifié de keynésien (Keynes, 1883-1946), face à de nouvelles responsabilités publiques, le xxe siècle fut une période largement concernée par la centralisation décisionnelle dans la majorité des nations du monde. Le Canada et le Québec se sont inscrits dans cet esprit d’État régulateur de l’économie, redistributeur de la richesse nationale et gestionnaire de biens et services collectifs. Les autorités locales qui détenaient une bonne partie des dépenses effectuées dans le vaste domaine public ont alors vu cette part s’effriter par la montée des interventions de Québec et d’Ottawa dans le transport, l’agriculture, l’éducation, la santé, les loisirs, etc. Dans ce contexte de centralisation gouvernementale, les arguments en faveur de la décentralisation furent très souvent exprimés par les experts en gestion publique. Car la centralisation et la décentralisation représentent deux modalités distinctes de gestion publique. Les deux modalités sont soutenues par la théorie économique, la théorie politique et la théorie administrative. Mais, comme l’a bien démontré François-Albert Angers (1960), la centralisation a reçu beaucoup d’attention des scientifiques et fut portée par ceux-ci dans leur désir de trouver des critères pour rationaliser la gestion gouvernementale. Néanmoins, la décentralisation possède des justificatifs solides qui permettent aux spécialistes d’argumenter régulièrement au Québec pour un retour du balancier centralisateur qui domine la modernisation de l’État depuis l’après-guerre, et même avant, avec notamment la création d’un département des affaires municipales en 1918. Ces arguments offerts par les experts sont repris régulièrement sous la 1. Le contenu de ce chapitre représente largement celui du chapitre 8 de mon ouvrage L’économie des territoires au Québec, publié aux Presses de l’Université du Québec en 2002. 184 Territoires et développement forme de revendications par la société civile organisée et les autorités locales en quête d’autonomie financière et décisionnelle. Le tableau 7.1 indique quelques-uns de ces principaux arguments. Tableau 7.1 La centralisation et la décentralisation Centralisation Décentralisation Unité Diversité Société Communauté Ordre Liberté Intégration culturelle Respect des identités Globalité Particularités Consolidation Intégration Concentration Déconcentration Développement par le haut Développement par le bas Au début des années 1990, la demande sociale de décentralisation gouvernementale fut très importante au Québec. Si les interpr étations de ce mouvement furent nombreuses (Proulx, 1998) la décentralisation gouvernementale s’est bel et bien exprimée comme une perspective d’analyse à part entière. Voyons dans ce chapitre ce qu’il en est de cette modalité de gestion publique, en particulier dans le contexte québécois. 7.1. L’OrIGIne de cette OptIOn en GestIOn puBLIQue L’option de la décentralisation2 s’inscrit dans toutes les tendances en philosophie politique. Le concept possède en effet des composantes qui appartiennent les unes aux idéologies dites de gauche (justice sociale, participation, coopération…) et les autres à celles reliées à la droite (traditions, autonomie, efficacité…). La décentralisation trouve d’ailleurs ses racines historiques dans la nuit des temps; la fameuse république de Platon était de dimension humaine, à l’échelon d’une communauté. Plus près de nous, le concept fut largement crédibilisé par le mouvement d’analyse communautaire du xixe siècle; 2. La centralisation est principalement une idée d’ordre, tandis que la décentralisation est principalement une idée de liberté. [18.218.184.214] Project MUSE (2024-04-16 20:08 GMT) Le levier de la décentralisation 185 Pierre-Joseph Proudhon n’a-t-il pas préconisé d’une manière très articulée l’organisation politique de la France à partir des communes d’abord, en remontant d’échelon en échelon, par la suite, en s’appuyant sur le principe de subsidiarité. De fait, depuis le déclin des petites collectivités autonomes du Moyen-Âge causé par l’intégration du pouvoir monarchique, l’idée d’un retour à une société substantiellement organisée au niveau des communautés de base est revenue constamment hanter et confronter le principe centralisateur3, moteur...

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