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C O N C L U S I O N REDÉPLOYER LE REGARD ET L’ACTION Au début de cet ouvrage, nous avons situé l’enjeu de ce travail sur la notion de traitement sur l’horizon du resserrement des pratiques que demande le règne des evidence-based practices: non pour rejeter la notion de preuve, d’«évidence» mais pour la redéployer à partir d’un autre regard. Nous rappelions ce qu’a écrit le psychiatre et philosophe Karl Jaspers à propos du caractère relatif de ce que nous tenons pour réalité (et donc pour«évidence») et qui dépend en fait étroitement des méthodes que nous privilégions pour y avoir accès. Dans le même sens, le psychiatre et phénom énologue français Georges Lanteri-Laura avait souligné à la fois l’enjeu et les limites de la sémiologie psychiatrique, qui repère certains signes (comportements, affects, paroles) comme significatifs en fonction de son cadre de référence, les lit comme des symptômes et les organise en diagnostics (Lanteri-Laura, 1986). Il remarquait que cette démarche, qui fonde l’approche psychiatrique, est étroitement liée à la spécificité de l’expertise du clinicien et à celle des outils thérapeutiques dont il dispose. On peut ainsi penser que plus ses moyens d’action se centrent sur une médication déterminée par la présence de certains types de symptômes ou de déficits, plus ce sont ces derniers qu’il cherche à repérer dans la rencontre clinique. Lanteri-Laura relève aussi que la réalité est toujours infiniment plus complexe que ce qu’en capte le clinicien, mais aussi que ce dernier est formé à repérer ce sur quoi il a le pouvoir d’agir. Ces commentaires valent pour toute profession, chacun repérant dans une réalité complexe les éléments qui correspondent à son pouvoir d’action. C’est ce qui fonde en principe le travail en équipe multidisciplinaire. C’est aussi ce qui risque d’aboutir à une vision morcelée des personnes et au découpage des problèmes en aspects sans doute tous significatifs, mais dans 174 LE MOUVEMENT DE L’ÊTRE une démarche qui fait l’impasse sur ce qui, au cœur de l’être, se trouve affecté, souffrant et, plus souvent, immobilisé dans une répétition mortifère ou déstructurante: le centre vital d’où pourrait aussi reprendre un mouvement de l’être. On peut penser que la manière de se représenter ce qui constitue un traitement en santé mentale suit une logique parallèle: partant de ce sur quoi on se sent un pouvoir d’action à une époque déterminée, et donc de ce que l’on considère significatif dans une réalité toujours en excès par rapport à ce découpage, il s’agit d’établir de la façon la plus précise possible ce qui a permis d’effectuer les changements observés ; il s’agit aussi de construire par l’entremise de la recherche un champ de connaissances qui permet de rendre compte de ces changements, de les expliquer et d’en préciser les mécanismes. En arrière-plan, c’est une conception particulière des probl èmes psychiatriques qui se met ainsi en place et assure la cohérence de la démarche. C’est donc une démarche à rebours qui, partant des effets, y fait correspondre des objectifs et des moyens d’action et, plus globalement, un champ de recherche qui dessine les contours d’une réalité selon certains paramètres étroitement liés aux paradigmes scientifiques dominants. Suivant cette logique, on peut penser que le fait de prendre en compte d’autres types d’effets, ou de définir différemment la notion même de résultat, conduit à déterminer d’autres paramètres permettant de préciser ce que recouvre l’idée même de traitement, ou d’y introduire des dimensions échappant aux paradigmes dominants. Une telle démarche incite à lire également à rebours cet ouvrage, à partir des deux chapitres qui rendent compte de ce que les usagers de ressources alternatives de traitement établissent comme les changements les plus significatifs pour eux (chapitres 4 et 10), et à relire dans cette perspective les chapitres portant sur les dimensions du traitement (chapitres 5 à 8). Il s’agit de déterminer et de comprendre en acte les ingrédients les plus...

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