In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Introduction La représentation en jeu QUÉBEC Jean-Christian PLEAU Jean-Christian Pleau est professeur au Département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal. Il a publié des études sur Georges Bernanos, Hubert Aquin et Gaston Miron. Il travaille sur les rapports entre littérature et nationalisme. On se souvient que Platon, dans La République1 , excluait le poète de la cité idéale précisément dans la mesure où son art, fondé sur la mimésis, lui paraissait mettre en cause l’organisation sociale . L’attention à la fonction politique de l’art n’est pas un développement récent, lié à l’avènement de la modernité : elle est présente aux origines de la tradition occidentale, se manifeste à toutes les époques – que l’artiste soit perçu comme l’un des rouages de l’appareil du pouvoir ou au contraire célébré (dénoncé) comme un fauteur de désordre et de révolution . Il est vrai que ce lien entre l’art et le politique a pu sembler se resserrer au XXe siècle : en témoigne l’audience que pouvaient trouver, de la fin de la guerre jusqu’aux années 1960, les thèses d’un Jean-Paul Sartre sur l’engagement de l’écrivain2 – audience qui 1 . Au livre III, et notamment dans les sections 395-398 . 2 . Ces thèses, on le sait, sont développées dans une série d’articles écrits peu après la guerre et réunis en 1947 sous le titre de Qu’est-ce que la littérature? 2 Introduction – La représentation en jeu dépassait les frontières du monde francophone et prenait une importance particulière dans le contexte de la décolonisation . Mais cette intensification de la conscience de l’inscription de l’art dans le politique n’a pas l’apparence d’un changement de paradigme; elle ne rompt pas de manière absolue avec l’expérience des siècles passés . S’il est vrai que la modernité détermine une rupture, celle-ci ne porterait pas, de prime abord, sur l’existence de cet espace où se recoupent les sphères de l’art et du politique . Une telle présentation demeure toutefois incomplète, ou plutôt, elle esquive ce qui précisément fait problème, à savoir l’existence d’un courant critique et artistique qui, depuis environ le milieu du XIXe siècle, revendique l’autonomisation de l’art . L’histoire de l’art, envisagée sous cet angle, serait celle d’une émancipation progressive de l’artiste et des pratiques artistiques, d’une invalidation progressive de toute subordination de l’art à des valeurs autres que celles qui lui sont propres . L’artiste, libéré de son ancienne sujétion aux institutions, aux élites, aux classes dominantes, n’aurait plus de comptes à rendre sinon en fonction des seules exigences de sa pratique: l’art n’admettrait plus d’autres fins que lui-même, et la modernité se concevrait comme le moment de cet avènement, coïncidant en gros avec le milieu du XIXe siècle . Toute tentative de réintroduire dans la pratique artistique des préoccupations externes – politiques, sociales ou autres – ne serait que le fruit d’un malentendu, d’une mauvaise compréhension des fins de l’art, et conduirait inévitablement ce dernier à sa perte . L’exemple extrême du réalisme soviétique en serait la démonstration la plus éloquente . Comme le clerc de Julien Benda3 , l’artiste aurait précisément pour vocation de s’affranchir du temporel . Entre ces deux visions, le compromis semble à première vue impossible . Tout se passe en somme comme si deux principes opposés se trouvaient en conflit dans l’art du XXe siècle, l’un primant sur l’autre au gré des circonstances et de l’urgence de la conjoncture: l’épisode de la littérature engagée selon les impératifs sartriens, pour reprendre cet exemple emblématique, survient dans la foulée immédiate de la Deuxième Guerre mondiale – traumatisme historique au regard duquel, dans la perspective de Sartre, se trouvait disqualifiée toute littérature qui n’était pas en prise directe sur l’actualité . Dans le monde germanophone, les 3 . Voir Julien Benda, La Trahison des clercs, Paris, Pauvert, 1927 . Cet essai, un peu oublié aujourd’hui, eut un assez grand retentissement en son...

Share