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13 Quand la ville gagne à être connue Joëlle Salomon Cavin* Traditionnellement, la ville est considérée par les défenseurs de la nature comme un milieu hostile non seulement pour la nature, mais également pour l’homme. Ce rejet de la ville est regrettable parce qu’il génère des processus finalement nuisibles pour la nature. L’analyse de l’évolution des publications de l’organisation Pro Natura en Suisse indique que d’autres représentations de la ville concurrencent actuellement cet imaginaire urbain négatif. Le milieu urbain se révèle être un lieu d’accueil pour la faune et la flore, voire un refuge pour des espèces chassées des campagnes périurbaines. En outre, l’opposition ville nature tend à se muer en une intégration ville nature dans laquelle l’amélioration des qualités de vie urbaine apparaît comme un moyen de limiter les atteintes aux milieux naturels. La ville méconnue et mal aimée jusque-là devient (également) milieu aimable et domaine d’intervention incontournable pour qui souhaite protéger la nature. * Je remercie Catherine Carron, patiente lectrice des articles de Pro Natura Magazine. Merci également aux organisateurs du colloque « La ville, objet et phénomène de représentation», Lucie K. Morisset, Luc Noppen et Thierry Paquot, de m’avoir permis de participer à une rencontre scientifique aussi stimulante et de m’avoir associée ainsi à un hommage à André Corboz. La ville, phénomène de représentation 264 Au lieu de vilipender les espaces urbains d’aujourd’hui, nous devrions au contraire, et de toute urgence, en distinguer les énormes avantages. André Corboz1 A ndré Corboz a souvent dénoncé l’absence de re-connaissance de la ville contemporaine tout autant que les images préconçues à travers lesquelles on la voit et qui empêchent de comprendre sa matérialité présente et ses avantages. Ainsi, la ville américaine ne peut être comprise, sinon comme un perpétuel gâchis périurbain, à l’aune des schémas pour penser la ville européenne. La ville américaine n’a jamais été une cité circonscrite et entourée par la campagne qu’une aspiration à la maison individuelle aurait fait éclater. La recherche d’un compromis entre ville et campagne, qui fonde la suburbia, est inséparable de la genèse du fait urbain étasunien. Le rapport figé qu’entretiennent les Européens avec ce qu’ils tiennent pour la nature intrinsèque des villes les empêche de reconnaître toute qualité aux banlieues américaines2. De même, la Suisse comme hyperville est invisible à qui considère ce pays comme l’éternelle patrie de Heïdi, un lieu agricole, montagnard et bucolique3. Que les trois quarts de la population suisse habitent actuellement dans les régions urbaines ou que l’agglomération zurichoise dépasse confortablement le million d’habitants n’y change rien, la Suisse se complaît dans sa ruralité. Le problème est que ce déni de la réalité urbaine contemporaine va de pair avec l’hostilité à la ville. L’image d’Épinal de la Suisse comme pays rural est ainsi indissociable de la critique de la ville4. C’est toujours avec regret que les Suisses concèdent l’existence de la (grande) ville chez eux5. Si l’on accepte cette proposition, qui fait écho à la définition du déni d’un point de vue psychanalytique6, la réciproque est-elle également vérifiée? L’amour ou, moins affectivement, l’attrait pour la ville peut-il naître d’une meilleure connaissance de celle-ci? Gagnerait-elle donc à être connue? Lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il gagne à être connu, cela peut vouloir dire que, avant de le connaître, il ne nous était pas sympathique ou agréable et que, en le connaissant mieux, on découvre ses qualités. On peut ainsi se faire un ami d’une personne que l’on n’aimait pas a priori. La personne a ainsi gagné à se faire connaître puisqu’elle en devient aimable. On peut en convenir aisément, tant cette formule s’applique à des situations diverses: apprendre à connaître, c’est aussi apprendre à apprécier. 1. André Corboz, «Préface», dans François Walter, La Suisse urbaine, Genève, Zoé, 1994. 2. André Corboz, « Non-city Revisited », La Ville Inquiète – Le temps de la réflexion, Gallimard, Paris, 1987, vol. VIII, p. 45-59. 3...

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