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11 Une ville et son fleuve Montréal vue/s de l’eau* Michèle Dagenais Aujourd’hui, l’eau est au cœur de la volonté de réconciliation de la ville et de la nature. À Montréal, ce désir s’exprime principalement en référence au Saint-Laurent. Les projets abondent qui visent à renouer avec le fleuve, donnant ainsi à entendre que les Montréalais en seraient désormais coupés. Sur quelles représentations du SaintLaurent ces projets se fondent-ils? Avec quel fleuve souhaite-t-on renouer? Cet article examine comment les rapports entre la ville et le Saint-Laurent se sont transformés discursivement et matériellement en croisant certains des aménagements et des re­ présentations dont ce dernier a été l’objet, depuis le moment où le fleuve est pensé comme «instrument» de développement de Montréal jusqu’aux préoccupations environ­ nementales récentes. * La recherche à l’origine de cet article a bénéficié du soutien financier du Conseil de ­ recherches en sciences humaines du Canada. Je remercie Lucie K. Morisset de m’avoir invitée à participer au riche colloque sur «La ville comme objet et phénomène de représentation», où j’ai présenté une première version de cet article. La ville, phénomène de représentation 216 La Nature […] toujours tenue pour une force extérieure et indépendante, devrait plutôt se définir comme le champ de notre imagination. Cela ne signifie pas qu’elle est enfin domestiquée, mais plus simplement que, dans chaque civilisation, la nature, c’est ce que la culture définit comme telle. André Corboz1 L a nature est d’abord un phénomène de représentations. Elle est généralement perçue comme si elle était séparée de l’humain et extérieure à lui, suggère André Corboz en exergue. Au surplus, on y réfère le plus souvent au singulier, comme si la nature existait dans son unicité. Ainsi conçue, la nature occupe une place centrale dans les préoccupations actuelles et dans les schémas d’aménagement des villes. Restaurer la nature, la rétablir, se la réapproprier sont certains des termes par le biais desquels s’élaborent les représentations d’un monde urbain plus harmonieux à construire. Les entreprises se multiplient qui affirment vouloir réintroduire les éléments naturels au cœur d’une nouvelle urbanité. Les unes et les autres donnent parfois à penser que la nature serait prati­ quement disparue des villes. Pourtant, les éléments naturels n’ont-ils pas toujours contribué à la vie urbaine? Comment les villes pourraient-elles ­ exister sans l’eau, sans l’air, sans la terre? Même si ces éléments se pré­ sentent de manière transformée, voire dégradée, ne s’agit-il pas de nature2 ? Que signifient alors les critiques selon lesquelles la nature serait disparue du monde urbain, à quelle nature se réfèrent-elles? Et le désir de la rétablir, à quoi correspondrait-il? À une forme de quête du paradis perdu? Aujourd’hui, l’eau est au cœur de cette volonté de réconciliation de la ville et de la nature. À Montréal, elle s’exprime principalement en référence au Saint-Laurent. Les projets abondent qui visent à renouer avec le fleuve, donnant ainsi à entendre que les Montréalais en seraient désormais coupés.SurquellesreprésentationsduSaint-Laurentcesprojetssefondent-ils? Autant les revendications écologistes que les discours poli­ tiques actuels s’appuient sur une rhétorique de la disparition du fleuve. Pour l’étayer, ils se réfèrent au passé, plus précisément à un passé mythique, au temps où les Montréalais auraient vécu en relation étroite et harmonieuse avec le SaintLaurent . Même si l’avènement de l’industrialisation et le développement du territoire montréalais ont provoqué d’importants réaménagements au fil du temps, ces changements n’auraient pas transformé le Saint-Laurent, ni entamé la séparation entre le fleuve et les Montréalais. Jusqu’aux années 1940, la population aurait profité des nombreuses rives de l’île et des eaux encore limpides du Saint-Laurent pour se recréer. Survint alors le grand chamboulement provoqué par les aménagements brutaux et massifs de l’aprèsguerre qui, cette fois, auraient rompu les liens entre la ville et son fleuve. 1. André Corboz, «Le...

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