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5 La clé des songes Yves Deschamps Les sollicitudes des aménagistes semblent avoir oublié la plus grande partie du territoire urbain. Les banlieues, sur lesquelles on fondait tant d’espoirs dans les années d’après-guerre, sont désormais abandonnées à des spéculateurs, à des dessinateurs à leur service et à des élus municipaux dont la culture et la ­ compétence dans les domaines de l’urbanisme et de l’architecture ne sont pas évidentes. En dépit des discours d’un marché qui prétend servir ses besoins, ses désirs, ses rêves, le banlieusard est­ largement captif de structures économiques et culturelles, qui lui offrent, en matière de vie et d’habitat, des choix étroits et de qualité douteuse. C’est pourtant là, au moins autant que dans les quartiers «centraux», que s’élabore le paysage de ce qu’André Corboz nomme l’hyperville. Ce texte est un appel à regarder de nouveau, à réinvestir ces vastes territoires négligés mais porteurs d’un avenir qui pourrait, qui devrait bénéficier d’aménagements de qualité. La ville, phénomène de représentation 84 L ’aménagement du territoire montréalais se déroule en dépit du bon sens humain, économique, social, écolo­ gique: étalement urbain, gaspillage des ressources territoriales, dépenses disproportionnées d’infrastructures, zonage monofonctionnel appauvrissant, repli et­ isolement des individus, «réserves» sociales et ethniques. En 1987, dans «“Non-City” Revisited1 », André Corboz remettait à l’heure quelques pendules européennes un peu coincées au sujet de la ville américaine. L’essai en question portait essentiellement sur des villes étasuniennes, mais qui, au Canada, au Québec et à Montréal, ne se sentirait inclus dans l’Amérique dont il est question? En effet, la frontière est abolie depuis longtemps entre la réalité urbaine d’ici et celle du Nord-Est étasunien. Si Montréal a quelque chose de spécifique, ce n’est pas dans le domaine de l’aménagement urbain qu’on le trouvera aujourd’hui. Par ailleurs, comme la ville nous «fait» autant que nous la faisons (et même beaucoup plus pour la plupart d’entre nous) et comme, paraît-il, la ville et l’architecture sont des données essentielles d’une culture, il y aurait peut-être lieu de s’interroger sur le sens de notre éventuelle «distinction » urbaine et architecturale dans le grand dispositif économique et culturel nord-américain, une place qui, bien souvent, nous fait appliquer ici des solutions trouvées ailleurs à des problèmes que nous n’avions pas encore posés. Mais, distincte ou non, Montréal – et je donne à ce nom un sens régional et territorial – évolue d’une façon que j’ai bien du mal à consi­ dérer avec tout le détachement «philosophique» qui serait sans doute souhaitable. Pour emprunter encore à André Corboz, une hyperville2 est à naître autour de nous qui me semble bien mal partie et que personne, parmi les responsables politiques ou les spécialistes de l’aménagement, ne semble percevoir, penser, orienter. Il est vrai qu’à Montréal on n’a jamais beaucoup apprécié la prévision et la planification, mais peut-être serait-il temps de renoncer à une «tradition» qui me semble dépassée depuis bien des décennies. André Corboz – il prend soin de le préciser – n’entend ni approuver ni condamner la ville américaine qu’il explique à ses lecteurs, mais, au passage, ses descriptions ne manquent pas de relever quelques-uns des maux connus qui la caractérisent: étalement urbain, monotonie, gaspillage de temps, des énergies et autres ressources. J’y ajoute l’accentuation et l’extension à un territoire considérable d’un modèle de zonage monofonctionnel universellement reconnu comme désastreux et sur lequel le passé nous apprend qu’il est difficile de revenir (d’aucuns en font même un patrimoine à préserver). J’y ajoute encore une 1. André Corboz, «“Non-City” Revisited», Le Territoire comme palimpseste et autres essais, Besançon, Éditions de l’Imprimeur, 2001, p. 185-198. 2. André Corboz, «La description: entre lecture et écriture», Le Territoire comme palimpseste…, op. cit., p. 255. [3.17.128.129] Project MUSE (2024-04-25 00:36 GMT) La clé des songes 85 typologie et une esthétique architecturales stérilisantes par leur uniformit é, leur conformisme et l’isolement individualiste qu’elles favorisent et dont il découle un d...

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