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2 c h a p i t r e Les mœurs homoérotiques ou l’éternel retour à la faute morale et au corps impur Quand les maux se retranchent derrière les mots… Jean-François Cauchie Patrice Corriveau À la lumière de controverses récentes ou réactualisées, qui concernent entre autres la liste des personnes à exclure comme potentiels donneurs de sang ou encore la criminalisation des personnes atteintes du VIH/sida, nous nuancerons une interprétation forte sur la régulation sociale des mœurs homoérotiques1 au Québec. Cette interprétation conclut qu’à la répression 1. Nous avons retenu l’expression «mœurs homoérotiques» parce que, à la différence de mots comme «sodomite», «inverti», «homosexuel» ou «gai», elle évite de réduire l’individu à une orientation ou un comportement sexuels. Par mœurs, nous n’entendons pas les habitudes comportementales d’individus selon la pratique du bien et du mal. Nous nous référons plutôt à des modes de vie ou à des comportements qui ont été identifiés, dans certains discours, à des crimes, des péchés, etc. Cette expression permettra en outre de garder un terme qui nous sera propre et de distinguer les figures du pécheur, du malade et du gai à risque que nous développerons plus loin. 46 La régulation sociale des minorités sexuelles religieuse, pénale et médicale aurait succédé une pleine reconnaissance juridique et politique de ces mœurs. Nous montrerons pour notre part qu’une telle reconnaissance n’empêche pas la mise en place de nouvelles formes de stigmatisation, notamment en matière de santé publique. Habituellement, les chercheurs distinguent trois moments chronologiques significatifs de la prise en charge des mœurs homoérotiques (Corriveau, 2006)2. Tout d’abord, et sous l’influence des colonisateurs britanniques et français, les mœurs entre individus de même sexe sont réprimées sévèrement par le droit pénal (du moins symboliquement), lequel légitime la peine de mort qui est imposée à ces individus par l’application chrétienne de la loi mosaïque. Partout en Occident, on voit en effet se mettre en place le lien qui continuera à unir pour les siècles à venir la sexualité et le péché (Le Goff, 1998). Ensuite, progressivement et surtout à partir du milieu du xixe siècle, la psychiatrisation et la médicalisation des mœurs homoérotiques comme déviances font leur apparition. La médecine , en tant que nouveau savoir positif émergeant, cherche alors à catégoriser et à comptabiliser les différentes pratiques sexuelles par l’entremise d’un savoir «objectif et scientifique» (Foucault, 1976). Définir, contrôler, identifier, guérir et prévenir deviennent les maîtres mots dans la gestion de ce qui deviendra bientôt l’homosexualité3. Enfin, un troisième moment prendrait son élan avec la libération sexuelle des années 1960 et la montée des mouvements activistes gais4. S’appuyant sur des revendications sociojuridiques devenues légitimes, ces mouvements de la gaietude5 «sortent du placard» et s’affichent socialement, artistiquement et politiquement. 2. Parler de succession chronologique n’implique ni l’absence d’enchevêtrement ni une lecture évolutionniste. On le sait, la nouveauté procède souvent «plus par aménagement , complexification et superposition que par suppression et remplacement; en outre, la nouveauté est relative et les temporalités se chevauchent» (Franssen, 2002, p. 239). 3. Comme le précise Foucault (1976) dans Histoire de la sexualité, l’homosexualité, en tant que principe constitutif en soi de l’individu, est une invention moderne de la fin du xixe siècle avec la médicalisation de la déviance. Ce terme ne s’est d’ailleurs répandu dans le vocabulaire populaire que tardivement au xxe siècle. 4. Le terme «gai», adopté d’abord par les «homosexuels» dans les années 1920 pour se reconnaître, a été popularisé dans les années 1960 par les mouvements gais et lesbiens afin de se distancier des interprétations médicalisantes sur l’homosexualité mais aussi pour s’affirmer sur un plan identitaire. 5. Néologisme qui n’est pas sans rappeler les tentatives d’autres groupes de renverser le stigmate dont ils font l’objet. C’est notamment le cas du mot «négritude», ­ popularisé entre autres par Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. [52.14.240.178] Project MUSE (2024-04-25 15:37 GMT...

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