Vieillir au pluriel: Perspectives sociales

Chapitre 5 - Vieillir en santé ? Des inégalités persistantes

c h a p i t r e 5 Vieillir en santé? Des inégalités persistantes Jean-Pierre Lavoie Chercheur d’établissement, Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale (CREGÉS), CSSS Cavendish – CAU Professeur associé, École de travail social, Université McGill Danielle Guay M.A. en sociologie, Université du Québec à Montréal (UQAM) Assistante de recherche au CSSS Cavendish – CAU Avec la collaboration de: Norma Gilbert Organisatrice communautaire, PALV, Programme de prévention et promotion santé et vieillissement et Centre de soutien aux aidants naturels Praticienne-chercheure, Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale (CREGÉS), CSSS Cavendish – CAU Manon Parisien Agente de planification, Équipe Prévention-promotion santé et vieillissement – CSSS Cavendish Professeure invitée, Programme d’ergothérapie de l’Université de Montréal La forte augmentation de la proportion de personnes âgées au Québec et dans l’ensemble des pays occidentaux a deux causes fondamentales: la baisse de la natalité, qui a fait en sorte que les jeunes générations ont compté pour une part réduite de la population, et l’augmentation de la longévité, qui s’est manifestée dans la forte croissance de l’espérance de vie (Gauthier, 116 Vieillir au pluriel 2004). Cette hausse de l’espérance de vie a d’abord résulté d’une baisse de la mortalité en bas âge – ce qui a eu pour effet de contrebalancer la baisse de natalité, de plus en plus d’enfants survivant à leur première année de vie – mais, depuis les années 1960, cette hausse est surtout due à l’augmentation de la longévité au-delà de 65 ans (Bourbeau et Smuga, 2003). C’est ainsi que le nombre de personnes âgées de 85 ans et plus a augmenté de 35% entre 1996 et 2003 (elles sont plus de 105 000) et qu’il doublera d’ici 2020 (Gauthier et Gaymu, 2003). Toutefois, malgré cette forte augmentation de la longévité au-delà de 65 ans, pour plusieurs, vieillesse et mauvais état de santé sont indissociables: on est vieux quand on est malade (Blein et al., 2009; Clément et al., 1996). Cette représentation populaire soulève deux ordres de questions que nous aborderons successivement dans ce chapitre. D’abord, qu’en est-il vraiment? Les personnes âgées sont-elles dans un aussi mauvais état de santé qu’on semble croire? Vieillissement et mauvais état de santé sont-ils syno­nymes? Ensuite, les études épidémiolo­giques et de santé ­publique indiquent depuis des lustres que l’état de santé est fortement corrélé à la position sociale des individus, notamment à leur genre et à leur niveau socioéconomique. On peut donc se demander jusqu’à quel point cette représentation des personnes âgées comme étant malades et dépendantes s’applique à tous et toutes, peu importe leur genre et leur classe sociale. Avant d’aborder directement ces deux grands ordres de questions, il convient de se pencher sur ce que l’on entend par le mot «santé». Que signifie être en «bonne santé» ou en «mauvaise santé»? Il y a désormais un consensus suivant lequel la santé ne peut se limiter uniquement à­ l’absence de maladie. D’ailleurs, dès 1946, lors de la création de l’Organisation mondiale de la santé, cette dernière considérait que «la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité» (OMS, 1946). Ainsi, il ne faut pas se surprendre que des personnes âgées ayant plusieurs probl èmes de santé n’hésitent pas à se dire en bonne, voire très bonne santé. Une telle définition soulève la question des indicateurs de santé. Est-ce que des indicateurs de mortalité (telle l’espérance de vie) ou de prévalence de maladies peuvent bien rendre compte de l’état de santé d’une population? La réponse est évidemment non. Cela a amené les épidémiologistes, les démographes et d’autres scientifiques à proposer des indicateurs plus complexes de santé, en plus de ceux utilisés traditionnellement. Ainsi, on utilise des indicateurs globaux de perception de l’état de santé (on demande alors aux personnes de qualifier leur état de santé ou de le qualifier en se comparant aux personnes du même âge et du même sexe) ou des indicateurs qui tenteront de tenir...