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Chapitre 11 Une mer disparaît Le désastre de la mer d’Aral Frédéric Lasserre Où l’eau s’arrête, le monde s’arrête aussi Proverbe ouzbek Et Nous avons fait descendre du ciel une eau bénie, avec laquelle Nous avons fait pousser des jardins et le grain qu’on moissonne Le Coran, Sourate 50:29 Les navires demeurent désormais immobiles, échoués en plein désert. Cette image saisissante, maintenant bien connue, résume parfaitement l’acuité du désastre environnemental qu’est la progressive disparition de la mer d’Aral. Cette mer intérieure est le débouché de deux fleuves, le Syr et l’Amou, qui naissent dans les montagnes du Tianshan et du Pamir. L’irrigation y est pratiquée depuis des siècles; mais l’irruption de la modernité russe, puis soviétique s’est traduite par l’assèchement des fleuves et la lente contraction de la mer. 300 Eaux et territoires 1. Mettre en valeur les grandes terres vierges En 1937, l’Union soviétique, soucieuse d’augmenter non seulement sa production de denrées agricoles à des fins alimentaires et industrielles, mais aussi ses revenus­ d’exportation, est devenue un exportateur net de coton. En l’espace d’une décennie, l’agriculture a été mécanisée en Ouzbékistan et au Turkménistan afin d’augmenter les productions de coton et de blé, des cultures fortement consommatrices d’eau. Il fallait tenir compte de l’aridité de cette région: moins prononcé que dans le Sahara notamment , l’indice d’aridité1 n’en demeure pas moins important en Asie centrale. L’eau dans la région, comme dans tout écosystème sec, est le véritable facteur limitant; sur 150 millions d’hectares de terres arables disponibles, 90% des terres mises en valeur étaient irriguées en 1992. Commencés sous le quatrième plan quinquennal (1946-1950), les travaux de modernisation de l’agriculture en Asie centrale ont connu un essor important sous les cinquième et sixième plans. Staline rêvait de mettre en valeur les grands fleuves de l’Union pour l’industrialisation et le développement agricole. Les ingénieurs soviétiques se sont lancés dans un vaste programme de construction de barrages et de canaux. En 1950, le Soviet suprême a pris la décision de construire de grands canaux pour irriguer la région. En 1954, Khrouchtchev a lancé le plan de mise en valeur des terres nouvelles: il s’agissait d’accélérer l’accroissement de la production agricole soviétique, notamment celle de coton, production stratégique et rentable pour l’URSS. Il s’agissait aussi de systématiser l’exploitation agricole de la région, tant pour y appliquer la planification économique garante du rattrapage économique de l’Union sur les États-Unis, que pour mieux contrôler une région stabilisée dans le giron soviétique depuis encore peu­ d’années. Dans le courant des années 1970, en Union soviétique, les espaces inondés par des réservoirs excédaient de beaucoup les zones ennoyées aux États-Unis, et le plus haut barrage du monde, le barrage Nurek, avec 300 mètres, était achevé en 1980 au Tadjikistan. En 1956 était inauguré le canal du Karakoum; il dérive de l’eau de l’Amou Darya depuis Kerki, non loin de la frontière afghane, pour la distribuer à travers le désert du Turkménistan2. Après tout, c’était l’époque d’un optimisme résolu quant 1. L’aridité d’une région se définit mal par le niveau des précipitations; ainsi la limite sud du Sahel, est définie selon les auteurs comme l’isohyète 500 à 700 mm par an, alors qu’il pleut 650 mm à Paris… On définit donc plutôt un indice d’aridité, comme le rapport entre les précipitations totales et l’évaporation potentielle, la quantité d’eau qui s’évapore d’une nappe d’eau douce au contact de l’atmosphère. Si les régions avoisinant l’Aral connaissent de très faibles précipitations (de 105 à 366 mm/an), l’indice d’aridité est cependant plus faible qu’au Sahara du fait d’une évaporation potentielle plus faible, produit de températures globalement moins élevées. 2. Le canal du Karakoum rejoint les cours de deux fleuves saisonniers qui descendent...

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