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Chapitre 14 - Les régions rurales qui gagnent: La prospective mise au défi de comprendre les dynamiques rurales contemporaines
- Presses de l'Université du Québec
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Chapitre 14 les régions rurales qui gagnent La prospective mise au défi de comprendre les dynamiques rurales contemporaines Bruno Jean La prospective rurale, qui devrait permettre d’identifier les facteurs pour comprendre les régions rurales qui gagnent1, a régulièrement occupé les sciences sociales depuis la publication d’un ouvrage qui allait lui-même décourager toute prospective rurale, car l’avenir était désormais maîtrisé: le règne de la ruralité allait bientôt s’achever. Nous faisons allusion ici au livre La fin d’un règne de Gérald Fortin, publié en 1971, et qui annonçait la fin du rural. Cela n’est pas sans rappeler un autre ouvrage semblable 1. Benko et Lipietz (1992). Les régions qui gagnent. Cet ouvrage a connu un grand succès, ce qui conduisit les auteurs à présenter une nouvelle synthèse de leurs travaux, avec La richesse des régions (2000). Penser les territoires en France, La fin des paysans2. Ces deux ouvrages prédisaient plutôt la fin d’une certaine ruralité. Le monde rural occupe toujours une place, mais une place moins dominante, dans la modernité avancée. La ruralité a donc changé… mais elle se reproduit. Ce qui a davantage changé, avec la montée de la sensibilité environnementale, c’est le regard que les sociétés modernes avancées portent sur leur propre ruralité, ou le mode de construction sociale3 de cette réalité qu’est la ruralité. Après une éclipse de vingt ans, la question rurale a refait surface il y a une bonne dizaine d’années avec la redécouverte par l’opinion publique de la ruralité et la naissance d’un mouvement comme Solidarité rurale. Une fraction de la population urbaine a commencé à s’inquiéter de la disparition d’une espèce en voie d’extinction et qu’il fallait donc protéger les ruraux. D’autres découvrent les nouvelles fonctions des territoires ruraux, la multifonctionnalité comme on dit aujourd’hui, qui ne sont pas seulement des espaces d’extraction de ressources primaires, mais des milieux de vie en communauté de petite taille offrant une alternative à la ville et un environnement nécessitant des actions de préservation . La ruralité devient alors un objet qui n’intéresse pas seulement les ruraux et quelques spécialistes, mais aussi la population urbaine entière particulièrement inquiète d’une dévitalisation rurale trop forte qui empêche la campagne d’exercer ses multiples rôles bénéficiant largement aux populations urbaines. Plusieurs scientifiques, journalistes et acteurs du développement rural ont sonné le glas de la dévitalisation rurale. Un des premiers secrétaires de Solidarité rurale, Henri-Paul Proulx4, la décrivait en ces termes: le déclin démographique manifesté par la perte de population, surtout la population jeune en âge de se reproduire et de créer de l’activité, et le vieillissement de la population; le déclin et la déstructuration économique, manifestés dans de nombreuses localités par la diminution des emplois et l’accroissement parfois spectaculaire du chômage et de l’assistance sociale; le déclin et déstructuration sociale, manifestés par la diminution et l’éloignement des services: éducation, santé, transport, communications, etc., par la perte des leaders et l’affaiblissement des institutions; le déclin 2. Nous avons expliqué les fondements de la «thèse de la fin du rural» dans le premier chapitre de notre livre Territoire d’avenir. Pour une sociologie de la ruralité (Jean, 1997). 3. Pour un aperçu de cette sociologie constructiviste appliquée mais appliquée au fait régional, voir Bruno Jean (1996). 4. À ne pas confondre avec le très coloré ex-président Jacques Proulx. [18.223.172.184] Project MUSE (2024-04-17 22:16 GMT) Les régions rurales qui gagnent culturel manifesté de façon dramatique dans un certain nombre de communaut és par le développement d’attitudes de dépendance, d’attentisme et de passivité. Alors que Solidarité rurale suspectait les enjeux de développement de notre ruralité dans son grand ralliement des ruraux en plein centre-ville de Montréal en février 1991, des universitaires tentaient d’identifier les tendances lourdes selon lesquelles un avenir pas trop rose pour la ruralité allait se dessiner. Rappelons une de ces analyses percutantes dont on peut se demander, dix ans après, si un...