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2. Le grand retour vers les traditions: La pêche, la morale, l’anticonsumérisme
- Presses de l'Université du Québec
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2 Le grand retour vers les traditions La pêche, la morale, l’anticonsumérisme«A great weight has been lifted now the money and the desires are gone. We can get back to being who we are.» The Sunday Times, 14 décembre 20081 C’est un air connu, les crises provoquent un retour au conservatisme, qui agit lui-même, à ce moment, comme un contre-discours. Dans le cas de l’Islande, ce retour est célébré comme la fin de l’érosion des valeurs traditionnelles , et le retour de la frugalité et de la pêche comme symboles d’une résilience que les événements du reste du monde ne peuvent entamer. Les journaux étrangers regorgent de témoignages d’Islandais, du plus humble au premier ministre, qui disent vouloir revenir au passé, ou du moins, à l’avant de la folle expansion des banques à l’étranger, à cette ère perdue considérée comme plus vertueuse: «the Prime Minister has spoken dramatically of returning to Iceland’s fishing and farming roots, rebuilding by simple . [Une Islandaise], citée dans [A.A. Gill], «Iceland: frozen assets», The Sunday Times, décembre 2008. 10 La spectaculaire déroute de l’Islande hard work what may have been lost2 ». Cet effort de rédemption veut effacer les traces de la crise afin de revenir vers un monde plus harmonieux. Le magazine Iceland Review, qui célébrait quelques mois auparavant la grandeur de l’entrepreneurship islandais, participe à ce discours: «we will have to revert to the old and established values of equality, justice and fairness in trade and commerce. We need to believe that big is not always beautiful3.» Épisode sombre de réflexion sur ce qui fonde l’islandicité, ce passage permet de poser un regard sur ce qui reste après la crise: «a people united by a history of survival and a cherished culture ». Pour les historiens, ces vœux pieux rappellent le romantisme du XIXe siècle, autre moment fondateur de la nation. Pour les journalistes, plus pragmatiques, il s’agit d’abord et avant tout d’une manière d’accepter l’inévitable : la crise force à une redéfinition de l’identité et à un dégonflement des ambitions. Jill Lawless écrit dans The Detroit News: «Icelanders are cutting back on spending and returning to tradition5.» Roger Boyes tisse un lien entre ce retour aux traditions et l’insularité du pays: «Icelanders are returning to their sense of being islanders rather than global players who can throw weight around European capitals. Islanders, when they return to their roots, know they must accept geographical limitations6.» Valeur refuge de l’Islande, la pêche joue un rôle fondamental, mythique dans le discours valorisant le retour aux traditions et aux valeurs ancestrales. L’analyse de celui-ci permet de dégager deux manières de la considérer: comme industrie et comme refuge identitaire. De l’extérieur, la préservation des stocks de poissons et la productivité des pêcheurs islandais sont souvent mentionnées en raison de leur caractère exemplaire. Cependant, la pêche peut aussi être évoquée avec une pointe de méchanceté et de dérision. Ainsi, 2. [Anonyme], «Iceland’s economic collapse could herald a new round of large-scale acquisitions», The Australian, 9 octobre 2008. Je souligne. 3. Bjarni Brynjólfsson, «The pots and pans revolution», Iceland Review, vol. , no , 2009. . Matthew Hart, «Iceland’s next saga. The wounded tiger’s tale», The Globe and Mail, 5 novembre 2008, p. F-. 5. Jill Lawless, «Crisis gives Iceland gift of frugality», The Detroit News, 25 décembre 2008. 6. Roger Boyes, «Skating on thin ice», The Australian, 0 octobre 2008. . Voir par exemple Gérard Lemarquis, «L’Islande affronte la baisse des quotas de cabillaud. La bonne gestion des réserves de poisson a transformé les pêcheurs en rentiers… au point d’abandonner le métier», Le Monde, 5 janvier 2008, cahier Économie, p. 5. [54.173.43.215] Project MUSE (2024-03-29 01:16 GMT) Le grand retour vers les traditions 11 Roger Cohen écrit dans The International Herald Tribune: «Iceland, de-banked, has gone back to fishing (if there are any fish left)8.» Ou encore, selon les mots d’un investisseur britannique cité par le Financial Times: «The Icelandics had better get their fishing rods out. They’ve got a lot of cod to catch to make up for what we’ve...