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17 Du bon usage des sites historiques1 Si les Occidentaux inventoriaient leurs biens culturels, tous les cinquante ans, ils constateraient à chaque recensement qu’il subsiste seulement la moitié des biens enregistrés lors du recensement précédent. La courbe de cette dilapidation semble asymptotique mais, comme il faut compter par unités, nous sommes très proches du point fatal; bien entendu, la perte de tant de documents de civilisation est irréversible. Pourtant, jamais l’humanité n’a consacré comme aujourd’hui autant d’efforts à interroger son passé et à déterrer les traces les plus anciennes de son apparition; serait-elle, rêveur collectif, en train de revivre d’un coup son histoire avant de s’anéantir? 1. Paru originellement à titre d’introduction de Vie des arts, automne 1974, p. 14-19. 2479-Montage_regroupe.indb 287 09-08-26 16:04 288 De la ville au patrimoine urbain Québec, la place  Royale, avant, pendant et après restauration. Photo : Luc Noppen BAnQ Photo : Luc Noppen 2479-Montage_regroupe.indb 288 09-08-26 16:04 [3.17.150.89] Project MUSE (2024-04-24 18:05 GMT) Du bon usage des sites historiques 289 Heureusement, les historiens et les conservateurs de musée ne sont plus les seuls à s’émouvoir. En quelques années –une dizaine peut- être– la sensibilité de la population a commencé à valoriser les œuvres, les constructions, les objets anciens. La dégradation de la vie urbaine et la basse qualité de l’architecture édifiée par les spéculateurs ne sont pas pour rien dans cette découverte des lieux historiques. Il y entre, en effet, beaucoup de nostalgie, surtout chez ceux qui, ne pouvant quitter la ville, investissent leur désir d’évasion dans l’image de la maison traditionnelle. Pour ceux, au contraire, qui dis­ posent de moyens, l’achat de quelque demeure antique relève souvent du snobisme – snobisme utile, pour une fois, s’il assure la survie d’un bâtiment menacé. Mais comme ces constructions ne sont pas, le plus souvent, utilisables telles quelles, il faut les restaurer, les équiper, les adapter. C’est ici que les choses se gâtent: selon quels critères va-t-on intervenir? La demande de maisons anciennes a créé un marché qui les a fait glisser de l’état de témoin à celui de produit. Réintégrées dans le circuit économique, elles y sont souvent traitées avec la même désinvolture déréalisante que tout autre élément de la chaîne consommatrice. L’existence de ce marché a incité nombre d’architectes et d’entrepreneurs à étendre leur activité aux vieilles bâtisses, avec des résultats souvent catastrophiques. Car il faut bien se rendre compte que l’engouement pour les édifices anciens ne constitue nullement, par lui-même, la garantie de leur survie. Tout au plus offre-t-il une chance de survie, qu’il s’agit de saisir. Par conséquent, l’intérêt dont la population semble faire preuve – pour combien de temps? – envers ce patrimoine ne deviendra une force déterminante que lorsque l’attitude commune à l’égard des traces de l’histoire dépassera le stade affectif qui la caractérise encore. La première notion dont il faut acquérir la conscience, c’est que, dans ce domaine aussi, l’improvisation est irresponsable. On ne peut agir valablement sur un bâtiment digne d’être conservé sans avoir pris un certain nombre de précautions méthodologiques, faute de quoi l’on risque de le transformer en sa propre caricature. On ne peut pas davantage proposer un programme d’action pour un site quelconque sans connaître les forces qui ont constitué ce site et les mécanismes qui agissent aujourd’hui sur lui. Toute autre approche relève de l’incompétence, du cynisme ou de la magie.  Montréal, le château De Ramezay et sa tour d’angle. Photo : Luc Noppen 2479-Montage_regroupe.indb 289 09-08-26 16:05 290 De la ville au patrimoine urbain Car la restauration des édifices, l’animation de l’architecture ancienne et l’insertion de bâtisses neuves dans un ensemble historique ne forment pas, d’abord, un problème technique, mais bien un problème culturel (au sens le plus large). L’approche empirique ou pragmatique, encore si répandue, consiste avant tout à faire confiance au goût et à intervenir au moyen de mesures sectorielles, assimilables à des...

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