De la ville au patrimoine urbain: Histoires de forme et de sens

15. Esquisse d'une méthodologie de la réanimation : Bâtiments anciens et fonctions actuelles

15 Esquisse d’une méthodologie de la réanimation Bâtiments anciens et fonctions actuelles1 Le « recyclage » des vieux bâtiments est en passe de devenir le pain quotidien des architectes. Aux États-Unis, plus du 80% d’entre eux y ont consacré une partie de leur temps de 1972 à 19742 ; les statistiques manquent pour l’Europe, mais on peut y supposer une tendance analogue. Sous le terme de recyclage, les Américains entendent toute intervention sur un édifice qui ne recourt pas au bulldozer. C’est une notion fourre-tout, qui signifie récupération, modernisation, transformation, 1. Paru originellement dans Restauro, Quaderni di restaura dei monumenti e di urbanistica dei centri antichi, 1978, vol. 9, no 36, p. 55-73. 2. Architectural Record, décembre 1974, p. 86. 2479-Montage_regroupe.indb 257 09-08-26 16:04 258 De la ville au patrimoine urbain conversion, «réhabilitation». En outre, elle s’applique à toute espèce de construction: de la station de pompage paléo-industrielle au slum bâti en 1950. Ainsi compris, le recyclage, d’une part, ne s’embarrasse d’aucune précaution méthodologique et, d’autre part, ne s’applique pas spécifiquement aux bâtiments visés par les mesures légales de protection du patrimoine architectural. Or, comme le phénomène du recyclage se constate, avec vigueur, à l’intérieur des quartiers protégés, il y a lieu – c’est même assez urgent – d’affiner le concept en tentant une approche plus systématique de ce type d’opération qu’on ne l’a fait jusqu’ici. Pour mieux situer le problème, trois remarques préliminaires me paraissent nécessaires. Première observation: la vogue actuelle du recyclage obéit à des causes essentiellement économiques. D’abord, il est devenu rentable d’investir au centre-ville (à quoi correspond souvent, en Europe, le centre historique), parce que les opérations visant l’extension de l’agglomération ont valorisé par contrecoup le terrain central, que l’on avait fui dans un premier temps. Cette démarche s’inscrit dans le plus grand ensemble de la rénovation urbaine (terme trompeur, puisque rénover consiste à démolir pour reconstruire). Ensuite, la rentabilisation du centre s’est heurtée au manque de capitaux. Dans cette optique, le recyclage apparaît donc comme une espèce de rénovation de crise, une solution de fortune3 . Faute de pouvoir construire à neuf, on se rabat sur les struc­ tures existantes. On le fait, bien entendu, avec la même force sauvage avec 3. «Restoration: A new way to make money on old buildings» (Professional Builder, février 1975, p. 64).  San Francisco (Californie), Ghirardelli Chocolate Factory et Ghirardelli Square. Photo : Luc Noppen 2479-Montage_regroupe.indb 258 09-08-26 16:04 Esquisse d’une méthodologie de la réanimation 259 laquelle a été menée jusqu’ici la prétendue régénération des centres, que la rénovation soit diffuse ou «concertée». «La réutilisation sera la prochaine grande vague en architecture», lit-on dans Fortune, le plus grand magazine des hommes d’affaires d’outre-Atlantique: cette revue doit savoir de quoi elle parle4 ! Deuxième observation: la conjoncture économique se double d’une conjoncture politique: il y a convergence et même synergie entre les nostalgiques de la société préindustrielle (qui se recrutent généralement à droite) et les tenants de la technologie douce (qui proviennent pour la plupart de gauche)5 ; gauche humaniste et libéraux éclairés croient volontiers qu’il suffirait de rafraîchir et d’équiper systématiquement le stock des logements existants pour absorber la poussée démographique, étant donné que les courbes de croissance des populations occidentales tendent à s’affaisser. Pourtant, l’idéologie du recyclage est antérieure aux difficultés économiques de l’Occident: n’est-ce pas sur la lancée d’ouvrages comme ceux de Jane Jacobs6 , c’est-à-dire vers 1961 déjà, qu’elle est née de la critique adressée aux résultats de la Charte d’Athènes? Il est symptomatique que le fameux réaménagement de la Ghirardelli Chocolate Factory à San Francisco, par William Roth, date de 1962. En d’autres termes, l’engouement pour le recyclage coïncide donc aussi bien avec la naissance de la conscience écologique qu’avec la première vague...