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Chapitre 6 : Critique de la finalité de l’orthodoxie des soins de santé primaires
- Presses de l'Université du Québec
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6 c h a p i t r e Critique de la finalité de l’orthodoxie des soins de santé primaires Nous souhaitons, dans ce dernier chapitre, aborder les dérives et les effets pervers intrinsèques à la conception de la justice sociale (promesse de l’orthodoxie) que voudrait voir adoptée l’OMS ainsi que quelques-unes des difficultés qu’elle rencontre dans sa traduction en actions concrètes. 6.1. La justice sociale: dérives et effets pervers Toutes les politiques mondiales de «Santé pour tous», faut-il le rappeler, sont fondées sur un certain idéal de justice sociale. Elles promeuvent toutes une certaine discrimination positive à l’avantage des plus pauvres, des malades et des groupes vulnérables, dans l’optique d’assurer à tous une meilleure chance d’être en santé. C’est justement cette velléité d’égalité des chances qui se dissimule derrière la recommandation de l’OMS d’une redistribution des ressources pour la santé (OMS, 1978, 2003d). L’organisation semble bien comprendre que pour améliorer la situation des plus démunis, il ne suffit 132 Les soins de santé primaires pas d’atteindre un niveau moyen de santé et de réactivité; il est également nécessaire de réduire sur un plan global les inégalités. Ainsi, pour se matérialiser, le critère d’égalité de santé formulé par l’OMS s’est rapidement transformé en un objectif plus modeste d’universalisation des soins de santé primaires. Plus précisément, il est devenu un objectif à long terme dont la traduction négative à court terme s’avère la réduction des inégalités par l’intermédiaire des soins de santé primaires. Les exigences à court terme sont certes moindres, mais l’égalité, procédurale à tout le moins, demeure l’horizon asymptotique vers lequel tendre. Ironiquement, cette vision «équitable» de la «Santé pour tous» – aux vertus de générosité et de compassion évidentes – a cependant débouché sur quelques paradoxes. Au-delà de la séduction qu’elle exerce, on a découvert qu’elle peut tout aussi bien se métamorphoser en son contraire, c’est-à-dire en matrice d’exclusion. De ce fait, même l’éventualité utopique d’une traduction parfaite de ce principe d’équité ne pourrait garantir la fin de toutes les inégalités et exclusions sociales. Il faut croire qu’il faut plus que des intentions altruistes pour venir à bout de ces malheurs! Mais qu’est-ce qui fait qu’il en est ainsi? Pour le savoir, rappelons avec Michel Borgetto (2000, p. 15) que la promotion des principes d’équité et d’égalité des chances n’est pas en elle-même parée des dangers réels de (re)production des inégalités, à cause notamment de leurs biais inhérents. C’est la mise en œuvre systématique de ces deux principes en matière de protection sociale qui semble, à toutes fins utiles, susceptible de déboucher sur un singulier effet pervers: en même temps qu’il permettrait de réduire certaines inégalités et d’atténuer certaines formes d’exclusion, le recours à ces principes pourrait contribuer aussi à les (re)produire de manière plus ou moins insidieuse. Examinons-en ici quelques mobiles. L’application de programmes d’équité d’inspiration rawlsienne suppose toujours une réorientation accélérée et systématique du système de protection et de sécurité sociale en faveur de ceux qui sont le plus dans le besoin. Cette tentation d’introduire de manière systématique de la sélectivité sociale (basée sur les dotations en [18.117.153.38] Project MUSE (2024-04-17 22:04 GMT) Critique de la finalité de l’orthodoxie des SSP 133 ressources) dans les mécanismes d’accès aux prestations financées, voilà le talon d’Achille du principe d’équité! C’est cette lacune qui fait que le principe d’équité ne peut prendre en compte que les inégalités de fait et non l’inégalité des individus dans leur capacité à transformer les allocations reçues en bien-être ou en capacités (Sen, 1980). L’équité ne peut guère être sensible à la discrimination qu’elle exerce au détriment des populations aux seuils de la marge, encore moins aux différences de handicaps structurels entre les pays. Par ailleurs, en prônant l’universalisation, à l’échelle globale, des prestations...