Permanence et mutations de l'université

Introduction

Introduction Chomsky et l’université C’est avec grand plaisir que je présente au lectorat francophone cet ouvrage réunissant les principaux écrits que Noam Chomsky a consacrés à l’universit é et qui, sauf erreur, lui étaient restés jusqu’ici inaccessibles dans sa langue . Ces textes – il y en a huit – sont suivis d’un entretien inédit que Chomsky m’a généreusement accordé et dans lequel il revient sur certaines de ses idées pour les actualiser ou les préciser . Plusieurs raisons m’ont semblé rendre éminemment souhaitable la publication de ces écrits . D’abord, les idées de Chomsky sur l’éducation en général et sur l’université en particulier, bien que fortes et originales, restent, malheureusement et très injustement, peu connues et inexplorées, surtout dans le monde francophone: il était donc souhaitable de les faire connaître et de donner aux personnes intéressées la matière première d’une telle exploration1 . 1 . Les écrits de Chomsky sur l’éducation et sur l’université ont été réunis dans: Noam Chomsky, On Democracy and Education, sous la direction de C .P . Otero, New York, Routledge Falmer, 2003 . Cinq des textes de cet ouvrage avaient été auparavant rassemblés dans: Noam Chomsky, Chomsky on Miseducation, sous la direction de D . Macedo, New York, Rowman and Littlefiel, 2000 . Des textes sur l’éducation ont été traduits en français et sont réunis dans: Noam Chomsky, Écrits sur l’éducation, Paris, L’Herne, coll . «Carnets de L’Herne», 2010 . Cet ouvrage, qui contient le premier des textes du présent livre, comprend aussi deux textes jusque-là inédits en français ainsi qu’un court entretien que Chomsky m’avait accordé sur l’éducation . 2 Introduction Ensuite, ces composantes de la pensée sociale et politique de Chomsky, loin d’être marginales, me paraissent au contraire, conformément à une longue tradition libertaire, en constituer une dimension centrale, qui contribue à donner à cette pensée son unité et sa richesse . Les faire connaître contribuera donc, on peut l’espérer, à une meilleure et plus juste appréciation tant de la pensée que du militantisme de Chomsky . Enfin, si la diffusion de ces textes m’a semblé à ce point importante , c’est aussi parce que l’université (et à vrai dire l’éducation tout entière) traverse en ce moment, un peu partout en Occident, une crise profonde aux nombreuses dimensions2 . Une telle crise exige de nous que nous reprenions à neuf des questions fondatrices concernant l’université et que nous nous prononcions sur ce qu’elle devrait être et sur la nature de sa contribution propre à une société qui aspire à être démocratique . Il m’a semblé qu’un tel moment était particulièrement propice pour faire connaître la réflexion de Chomsky sur toutes ces questions: originale et puissante, celle-ci ne pourra manquer d’enrichir les nombreux débats contemporains relatifs àl’université auxquels nous nepouvons nous soustraire . Une part importante des réflexions de Chomsky sur l’université et des analyses qu’il propose a pour cause immédiate et pour principal objet l’université américaine, notamment celle de la fin des années 1960 et du début des années 1970, alors que se déploie un militantisme auquel il prit une part active3 et qui, dira-t-il, ne sera freiné que vers 1973, alors que sera rétabli «un contrôle idéologique raisonnablement efficace4 » . Ces analyses, on le devine, ne peuvent en aucun cas être entièrement et sans subir d’adaptations, profondes sans doute parfois, transposées à d’autres contextes sociaux ou politiques . Chomsky en convient aisément, lui qui est le premier à mettre en garde contre une analyse a-historique et dé-contextualisée de l’université: «Il est inutile de discuter de la «fonction de l’université» en faisant abstraction des circonstances historiques concrètes, écrit-il, de même que ce serait un gaspillage d’énergie d’étudier de la sorte toute autre institution sociale . Dans une société différente, des questions totalement différentes peuvent se poser quant à la fonction de l’université et quant à savoir quels problèmes sont pressants5 .» 2 . On a pu la décrire comme Le cauchemar de Humboldt – tel est en effet le titre de l’ouvrage consacré à la crise de l’université dirigé par Franz Schultheis (Paris, Raisons d’agir, 2008) . Humboldt, comme on le verra...