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5. Universités et entreprises
- Presses de l'Université du Québec
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5 Universités et entreprises1 ■ ■ Au sein de la société actuelle, devrait-il y avoir une relation directe – ou encore des liens et des responsabilités directs – entre université et entreprise? ■ ■ Dans les conditions actuelles, s’il n’existait aucune relation entre la richesse, sous une forme ou une autre, et les universités, celles-ci s’effondreraient . La chose est évidente puisque les universités existent par les fonds qui leur sont accordés par le gouvernement et, fondamentalement, par les personnes les plus fortunées . En ce sens, il doit exister une relation [entre universités et entreprises] . Je pense pour ma part que c’est regrettable: mais la société est ainsi faite . ■ ■ Tout naturellement, les professeurs tendent cependant à avoir une vision libérale, critique ou radicale de la société. ■ ■ Je ne suis pas d’accord . Le corps professoral est très conservateur . Certes, si on juge les professeurs d’université à partir du spectre des positions qui prévalent aux États-Unis, alors ils sont des libéraux; mais ces positions ont à ce point viré à droite que, si on les compare avec celles qu’on trouve en Europe occidentale, et qu’on les évalue selon les normes qui prévalent au sein des démocraties libérales européennes, on constatera que les professeurs d’université aux États-Unis sont en fait passablement conservateurs . 1 . Cet entretien est paru en mai 1973 dans Business Today, p . 13-15, sous le titre«One man’s view: Noam Chomsky . Are universities too conservative? Do they collude with corporations to obscure the way power works in our society? Noam Chomsky thinks so and explains why» . Le texte a été traduit par Normand Baillargeon . Certaines questions ont été synthétisées . Les intertitres sont de C .P . Otero . [N .B .] 86 Chapitre 5 Contrôles idéologiques stricts et manque d’honnêteté ■ ■ Diriez-vous en ce cas que les professeurs d’université ne remplissent pas une des fonctions qu’ils devraient accomplir, celle de formuler des critiques positives et d’insuffler une tendance libérale à la société? ■ ■ Les opinions que les gens peuvent avoir m’importent peu . Je pense cependant qu’au sein d’une université on devrait retrouver une grande variété de positions – ce qui n’est pas le cas . Il s’agit d’une carence majeure et je pense qu’elle résulte d’un manque d’honnêteté . En fait, je ne crois pas que le travail intellectuel effectué au sein de l’université cherche à réellement appréhender la véritable structure de la société . Je pense qu’elle est maintenue sous des contrôles idéologiques à ce point rigoureux qu’elle évite de s’intéresser de près à des problèmes fondamentaux de notre société ou de poursuivre des recherches à leur sujet . Tout cela n’est pas une simple question d’opinion et est aisément démontrable . ■ ■ Est-il concevable, au sein de la société telle qu’elle est, d’accorder aux professeurs plus de liberté dans la définition du rôle qu’ils veulent jouer? ■ ■ Je pense que rien ni personne ne les empêche de le faire . Mais, en raison de leur profond conservatisme, les professeurs dans les disciplines idéologiques comme l’histoire, les sciences politiques et autres trouvent diverses manières d’éviter d’étudier des questions fondamentales relatives à la nature du pouvoir au sein de notre société et à son exercice . Et quand ils les étudient, ils le font d’une manière perverse et confuse . En fait, la spécialisation universitaire elle-même contribue à ce résultat . Consid érez à titre d’exemple l’étude de l’économie politique: la spécialisation des domaines que vous y trouverez est telle qu’elle rend extrêmement difficile d’approfondir, à partir d’un département d’une université, les sujets les plus brûlants relatifs à la structure de la société américaine . L’exemple le plus frappant que je connaisse à ce propos concerne l’étude de la politique étrangère . Le domaine a récemment été examiné dans un article publié dans les Annals of the American Academy of Political and Social Sciences2 . L’auteur se penche sur 200 publications importantes retenues parmi ce qu’il appelle les publications notables en matière d’affaires et de relations internationales et il a mis au jour le fait que plus de 95% d’entre elles ne mentionnent d’aucune manière...