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Chapitre 3 : Mort et violence, fondatrices de différenciation
- Presses de l'Université du Québec
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3 C H A P I T R E MORT ET VIOLENCE, FONDATRICES DE DIFFÉRENCIATION Nous allons maintenant river une passerelle entre la fascination tout court et celle que peut exercer la mort. Car, pour attirer l’attention sur un énoncé introduisant cet ouvrage, si la fascination n’a pas trait qu’à la mort, et peut donc s’examiner en tant que telle, et si de son côté la mort n’est pas forcément et systématiquement source de fascination, le défi de notre analyse demeure tout de même de cerner leurs imbrications. Or le caractère fondateur autant de la mort que de la violence en est une voie d’accès, et singulièrement prodigue. Nous allons donc dans ce chapitre reprendre certains traits de la fascination, non pas tant à travers ses manifestations qu’à travers ce qui constitue son origine et son toujours éventuel aboutissement: la mort, en ajoutant que celle-ci ne vient pas seule, puisque la violence lui est en partie liée. Mort et violence qui auraient l’heur de surprendre à bien des égards. 70 La fascination – Nouveau désir d’éternité CONSCIENCE DE LA MORT ET LIEUX DE FASCINATION DE MORT SYMBOLIQUE À MORT-ÉVÉNEMENT, UN INAPERÇU DU FASCINANS Le fait est acquis: ce n’est pas parce que le corps ou l’individu sensible au pouvoir s’offrent comme ressorts fascinants qu’on doit s’y livrer entièrement . Car quel que soit l’objet sur lequel elle s’exerce, une fascination lovée sur elle-même est porteuse à plus ou moins long terme de mort symbolique: affaissement de l’être-au-monde, dont le destin est d’aspirer pleinement à la liberté. Bien plus, en limitant sa faculté de penser, l’être fasciné au long cours ne peut imaginer l’éventualité même de la mort symbolique. Quant à la mort comme événement, promesse déposée dans chacun de ces objets, la fascination prend soin d’éviter jusqu’à la moindre de ses connotations. Ignorée dans son caractère de levain autant qu’occultée comme finitude, la mort risque dès lors de se faire d’autant plus menaçante. Et plus elle paraît menaçante, moins on est enclin à la considérer comme naissancielle et point tournant, en quelque sorte, de la différenciation humaine. Rappelons simplement que l’individuation s’amorce par la différenciation de l’enfant d’avec ses parents, différenciation d’autant mieux assumée que la fascination pour l’autre, l’attache osmotique ont fait leur«juste» temps, avant d’être dépassées, c’est-à-dire soumises à l’expérience des limites de cette forme d’indifférenciation. Bien sûr, cette «défascination » est source de souffrance et porteuse de déchirements, l’une et l’autre pourtant nécessaires pour fonder sa confiance en des lois autres que celles du plaisir et de la consolation privilégiées jusque-là. L’enfant et l’adolescent, soutenus et guidés dans l’épreuve de la séparation par une structure relationnelle aimante, sont peu à peu confiés à leurs propres initiatives, unifiés, affranchis, et de la sorte disponibles pour s’émouvoir et fixer pour eux-mêmes leurs ouvrages en regard des limites du temps. Ainsi, depuis ce «jamais plus», le deuil symbolique de la fusion inaugurale, cette conscience progressive de l’amplitude de la mort – élabor ée précisément en prenant soin qu’elle soit progressive – conduit l’être humain à se différencier: entendant par là s’extirper du magma de l’intemporel et «lucidifier» les voies et trajets qui le forgeront sujet à part entière, lié à sa généalogie et, par suite, aux résonances intimes de chaque occurrence de la mort dans son histoire. [34.204.181.19] Project MUSE (2024-03-19 14:29 GMT) Mort et violence, fondatrices de différenciation 71 LA DIFFÉRENCIATION HUMAINE SUR LA LIMITE «FASCINANTE » QU’IMPOSE LA MORT La mort-événement a fasciné toutes les sociétés, comme en témoigne l’effort intrigué, horrifié ou émerveillé, qui a présidé à la volonté de représentation de ce qui ne peut, justement, être compris, soit l’absence de vie. Terra incognita insaisissable, entraînant de ce fait les humains à y transposer leurs plus fous espoirs de complétude, d’accomplissement, d’harmonie , tout autant que leurs craintes de désintégration, d’anomie, et leurs terreurs de l’engloutissement...