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10 C H A P I T R E VAINCRE LA MORT? Le 11.09.01, fascination pour l’unité «suprême» de la mort […] Au bruit la mort arrive comme une chaussure sans pied, comme un costume sans homme, elle arrive pour frapper, avec une bague sans pierre et sans doigt, elle arrive pour crier sans bouche, sans langue, sans gorge. Cependant ses pas résonnent Et son habit résonne, silencieux comme un arbre. Pablo Neruda1 Nul humain n’est assez parfait pour avoir le droit de tuer ce qu’il considère à tort comme entièrement mauvais. Gandhi2 1. Pablo Neruda, «Seulement la mort», Résidence sur la terre, Poésie, Gallimard, 1972, p. 79. 2. Gandhi, Lettres à l’Ashram, trad. J. Hébert, Adrien Maisonneuve, 1938, p. 88-98, p. 92. 352 La fascination – Nouveau désir d’éternité Cette date se présente comme une figure charnière d’envergure à bien des égards. Ainsi, innombrables ont été les commentaires autour de la question: qu’est-ce qui a changé alors et depuis? Cette interpellation m’a semblé pourtant trop souvent éluder plusieurs fondements mythiques et évacuer partiellement le faisceau des logiques à l’œuvre, même dans le caractère phénoménal du 11 septembre 2001. Peut-être y avait-il dans la question une des manières de la fascination, dans cette tendance à être happé par tout ce qui est nouveau, quand ce n’est un fétichisme de l’aggiornamento. Et on pourrait encore soupçonner l’étendard claquant du changement de dissimuler ce qui demeure emmuré dans le silence des décombres, et pas seulement celui des victimes. Puis, à retourner tout cela, il m’apparaît que se sont croisés là un maelström d’éléments ramenant à certains égards à la quintessence de la fascination. Il s’agira donc ici de recadrer certaines donnes à partir desquelles une hypothèse – entre autres! – peut encore se déposer: cette extrême violence était et serait inscrite dans la logique même des rapports à la vie et à la mort des protagonistes en cause. Néanmoins, au-delà de ces derniers, cette violence agie coifferait nos représentations contemporaines de la mort, et pas que dans sa survenue et, a fortiori, pas qu’héroïque. Et à tout le moins, nous avons rencontré là l’expression d’un paroxysme de l’instant… DEUX FACES D’UNE LACUNE D’ALTÉRITÉ: L’UNITÉ COMME DIEU UNE UNITÉ PROBLÉMATIQUE L’hypothèse ici introduite réfute la thèse du «choc des civilisations» dans ce qu’elle oppose en bloc, d’une part, l’Occident (entendre, pour S. Huntington, les États-Unis) et, de l’autre, les autres civilisations, dont l’Islam et le confucianisme. Elle la réfute d’autant plus que la conclusion de cet auteur fait peu de cas d’une anthropologie dynamique, en racornissant l’humanité au processus identificatoire, et ce dernier, à deux vecteurs: «Le monde n’est pas un. Les civilisations naissent et divisent l’humanité… Le sang et la foi: voilà ce à quoi les gens s’identifient, ce pour quoi ils combattent et meurent3.» 3. Samuel P. Huntington, Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 1997. [13.58.39.23] Project MUSE (2024-04-25 16:47 GMT) Vaincre la mort? 353 Soumettons que, au contraire, le conflit émerge sauvagement dans la mesure où des civilisations érigent – tout aussi sauvagement – leur unité en totalitarisme. Que, au contraire, la culture ne se saisit pas que par la foi – au sens large – et les croyances religieuses, mais par l’articulation des composantes d’un treillis complexe d’échanges, aussi bien matériels que symboliques, lesquels échanges visent le support de la vie et du vivant dans leur régénération. Nous bénéficions à cet égard de fines analyses des rapports sociaux, géopolitiques, économiques, entre les protagonistes de l’hécatombe du 11 septembre 2001. Le présent chapitre insiste davantage sur ce qui, dans les entendements obscurs de l’unité, précisément, dans la fascination pour cette unité comme idéal de plénitude, viendrait enkyster l’antagonisme et, dès lors, alimenter la hantise réciproque à éliminer l’autre. Sous cet autre haï, se pourrait-il qu’il y ait quelque chose d’encore plus haï? Sous cette disposition pour la haine, il nous faut revenir à la pensée d’Eugène Enriquez, dans l’abord des rapports ici en jeu. La société paranoïaque se...

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