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8 C H A P I T R E SURTOUT, NE PAS S’EXPOSER? DE QUELQUES (NON-)EXPOSITIONS ET VIOLENCES […] Et l’on ferme habilement les yeux sur les petits indices par lesquels l’inconscient, lui aussi, a coutume de se révéler au conscient. Sigmund Freud1 La présence concrète du cadavre d’un être dont l’histoire a rencontré la nôtre, même de façon prolongée, n’implique pas fascination à son endroit, on en conviendra. Toutefois, si le cadavre en soi se prête à une fascination qui surgit d’emblée à l’esprit, nous n’en aborderons pas les figures emblématiques que sont la nécrophilie et la nécrophagie. Néanmoins, ces dernières ne détiennent pas le monopole de la monstruosité, si l’on se reporte à l’«anormalité» contribuant au déni de l’humain, singulièrement dans la voracité morbide… Dès lors, il se peut que la fascination pour le mort emprunte d’autres conduites, car si la monstruosité se forge dans l’absence de limites, au sens métaphorique s’amèneraient de nouvelles formes, 1. Sigmund Freud, «Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort», dans Essais de psychanalyse, trad. P. Cotet, A. Bourguignon et A. Cherki, Paris, Payot, 1981, p. 30-40. 250 La fascination – Nouveau désir d’éternité inaperçues, en soi, et face au phénomène de disparition du mort. En effet, si, on le répète, on peut documenter empiriquement ce que d’aucuns interpr ètent comme une désuétude, nous savons bien peu des rebondissements éventuels de la disparition de la réalité-cadavre, en particulier dans le registre de l’apparition de nouvelles violences au courant de la vie, d’où le titre de ce chapitre. À tous égards, il y a bien peu de chose aussi embêtante qu’un mort, un «vrai» mort, pas son image. Dans cet avis partagé, on rejoindra l’un des grands universaux: la mort, en soi, fait violence par l’indifférenciation en marche dans ce support du vivant qu’est le cadavre. Dans la chambre de l’institution, dans son gîte familier ou, le cas échéant, dans l’anonymat glaçant d’une morgue2, il est là, déposé dans sa lourde déliquescence, ne revendiquant rien et implorant néanmoins. Car devant un cadavre, fût-il celui d’un être bien-aimé, l’indécision ne peut tenir longtemps. Le cœur s’affole, entre l’instinct légitime de fuite et celui, tout aussi légitime, de retenir ce que fut ce mort: contre toute raison, lui parler, replacer une mèche de ses cheveux, pianoter sur son bras, en somme faire comme si ce qui fut perdurait, dans la lente assimilation de ce qui est ET n’est plus. Le déni ponctuel trouve ici son inéluctable manifestation. Le présent se conjugue alors souvent en hoquetant, bien sûr en tenant compte du très récent passé ou de la tonalité des adieux. Le passé se veut souverain, accréditant d’autant quelque chose qui nous échappe et que nous tentons de garder, tout aussi vainement que magiquement. Si le cœur vacille, les talons doivent pivoter au pragmatisme: administration des dernières volontés et quelquefois, véritable enquête pour les connaître, sans compter l’assentiment aux conventions, usages du temps et règles sanitaires à propos de l’état physique de cet être qu’on a pu à la fois aimer et haïr dans une ambivalence toute humaine. Cette ambivalence ne manque pas alors… Et autre séquence, plus tard, les proches, aussi bien que les plus«éloignés», peuvent vaciller devant ce mort «présentifié» (le néologisme est de L.-V. Thomas), devenu plus présentable, justement, de nos jours, grâce à la thanatopraxie. 2. Quel contresens: identifier une identité à jamais perdue: et si elle se retrouve là, à la morgue, se pourrait-il que justement, c’est largement faute de ne pas avoir été reconnue ? Ce défaut a été sublimé par Andrès Serrano, dans l’exposition La morgue, comme déjà abordé au chapitre 6. [3.138.110.119] Project MUSE (2024-04-26 09:18 GMT) Surtout, ne pas s’exposer? 251 Ce cadavre peut bien représenter l’antipode de la fascination, car devant lui, une aversion viscérale émerge. Nous voici alors devant deux inconnues: la pr...

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