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Chapitre 7 : L’acmé du suicide: La fascination accomplie
- Presses de l'Université du Québec
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7 C H A P I T R E L’ACMÉ DU SUICIDE La fascination accomplie Dans les milieux concernés par son étude systématique, il est souvent convenu que le suicide ne serait pas tant un geste vers la mort qu’un épuisement du vouloir-vivre, dans sa forme la plus abrasive. Aussi, on ne se suicide pas dans l’intention de mourir mais parce que la vie serait trop lourde, le suicide étant alors associé à une entreprise de délestage, interprété comme un «lâcher-prise» radical. Ce ne sera pas ici mon propos, pas plus que je ne m’attarderai aux hypothèses des discours biomédicosociaux, comme celle des facteurs génétiques prédisposant au suicide, notamment la maniacodépression. Refusant encore ici de séparer la psyché du social-historique, je soumettrai trois propositions concernant les suicides actuels. Le lecteur devrait n’y voir aucune prétention à une explication globale ou synthétique, mais une contribution au prisme des interprétations. L’article «le» sera utilisé par commodit é et ne renvoie aucunement à une lecture univoque sur cette question éminemment peuplée, dans tous les sens du terme. Vraiment, ce «le» – au lieu du pluriel, «les» suicides – met en relief la proposition générale selon laquelle notre culture serait hautement suicidogène, néanmoins sur fond du treillis de tant de causes, lointaines ou encore dites précipitantes. 206 La fascination – Nouveau désir d’éternité En premier lieu – on n’en sera pas trop étonné –, le suicide entretient des liens avec la fascination. Notamment, il serait un avatar ou une métamorphose logique, pourrait-on dire, de la fascination entérinée comme mode de vie. Or la fascination contribue au désarroi contemporain, lequel peut tout autant mener au suicide que relancer le désir de vivre. Par conséquent , on ne pourrait ignorer la fascination, pure et simple, pour «l’objet» suicide. On entame ainsi un second plan. Le suicide serait lié à une conception bâtardisée, a-tragique de la mort, dont on a examiné la logique du déni entretenu autour de sa violence, de même que les manifestations au creux du morbide, en passant par son enjolivement. En ce sens, le statut actuel de la mort pourrait intervenir pour une lourde part dans «l’appel» au suicide, entendu par nombre de nos contemporains. Enfin, le suicide serait une réponse totalitaire à un monde plus ou moins lui-même totalitaire. Il confisquerait toute possibilité de réponse dans une culture qui pousse davantage à réagir sur le mode du même qu’à exercer un libre arbitre critique. Ces trois propositions s’alimentent et se renforcent en s’agrégeant. UN ACOLYTE DE LA FASCINATION La fascination vient irriguer le suicide à maints égards. UNE LOGIQUE SYMBOLIQUEMENT SUICIDOGÈNE, IMBRIQUÉE DANS LE PROCESSUS FASCINANS Dès les premiers chapitres, on a pu constater comment le processus même de la fascination s’avérait globalement mortifère et, qui plus est, germinal de cet acte de don de mort à soi-même. En effet, saisi dans les rets, aussi plaisants soient-ils, de la séduction comme manière d’être coutumière, l’individu subjugué désapprend – si tant est qu’il l’ait appris – une conception du monde plurielle. Être happé dans le cercle de la fascination exclut par définition une vision périphérique et entrave la distance critique, si bien qu’il semble incongru ou même ardu pour le sujet fragile de se demander s’il existerait une manière de voir autre que la sienne ou que celle validée par la tendance moutonnière de s’adonner au plaisir du moment. [44.197.251.102] Project MUSE (2024-03-19 03:02 GMT) L’acmé du suicide 207 Sur ce terreau, si «l’idée» du suicide se profile, il devient petit à petit impensable d’y échapper car, d’une part, le mouvement autoadhésif monolithique se réplique, la fascination nourrissant la fascination – et le suicide ne sera pas le moindre de ses éblouissements! – et, d’autre part, la pensée se trouve vidée de son sens. Par exemple, si l’on a assimilé les problèmes en cause à une problématique relationnelle interpersonnelle (tel, encore ici, un conflit de personnalités qui expliquerait une querelle chronique), on tendrait à interpréter le suicide comme le résultat d’échecs relationnels. La pauvreté de cette explication indique...