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Ouverture
- Presses de l'Université du Québec
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Ouverture Indifférenciation connote instantanément indifférence. Or l’indifférence a de quoi faire mal. Elle est à tout le moins la réaction polie de l’ignorance ou, pire, du rejet. Ce qui est en l’occurrence mis à l’ombre, qu’est-ce, sinon le fait que la différenciation a du mal à s’exprimer? Par la différenciation, une lumière chaleureuse imprègne le regard sur le monde de qui prend le temps de l’observer. On constatera dans les prochaines pages comment l’indifférenciation jette un froid et un froid qui éteint plutôt qu’il n’aiguise le processus de différenciation. Il nous faudra pour ce faire prendre pied dans les conclusions des deux premiers chapitres, avant d’aborder l’enjeu explicite, celui du trajet de différenciationindiff érenciation. Déjà les signes d’ombragement pointaient, ne serait-ce que dans les intitulés du chapitre 1 – l’identité en danger – et, bien sûr, dans la désignation de l’étiolement des premiers objets de fascination. Sombre, en effet, pouvait paraître le portrait dressé comme inventaire – bien sûr non exhaustif – de quelques fâcheuses éventualités inhérentes à la fascination: effacement d’une individuation qui, pourtant, se voudrait souveraine, d’une pensée qui, pourtant, se donne comme globale; avancée et emprise de l’idéologie et de la séduction dans un ondoiement fascinatoire qui traverse et englobe la combinatoire du corps, de l’individu et du pouvoir. 96 La fascination – Nouveau désir d’éternité Sombre, pour sûr, ne serait-ce que parce que les stratagèmes éblouissants du fascinans laissent dans l’ombre tant d’expériences inédites. En d’autres termes, si la fascination tient sur les deux piliers que sont l’idéologie et la séduction, c’est que celles-ci, ensemble et séparément, écartent et brouillent obstinément ce qui ne va pas dans le sens de la fascination. Tandis que la séduction fait miroir, virtuellement déformant, l’idéologie garde le silence sur tout message qui n’entérine pas ce qu’elle désigne comme valeur ou repère «incontournables». Surdévelopper tel pan de la réalité, sous-développer l’autre, désigner le premier comme complet, taire ou nier le second ou, lorsqu’on est obligé d’en tenir compte, le refouler dans un coin, comme entité négligeable, voilà les logiques au travail ici. Ce jeu de balancier entre l’hyper- et l’hypo-, cette réactivité leste, ajustée aux circonstances, serviraient d’épine dorsale à la fascination. On a déjà évoqué cette règle structurelle dans l’idéologie sévissant à propos du corps: hypervalorisé quand il répond aux standards de pouvoir, il est critiqué vertement et déprécié quand il désobéit ou s’en éloigne trop longtemps. Ce jeu entre surreconnaissance et méconnaissance est en soi instructif de ce que, a priori, nous voudrions détourner, renvoyer vers l’ombre, quand «quelque chose» ne fait pas «notre affaire». Cette méconnaissance relève d’un mode de défense tout à la fois ordinaire et extraordinaire: ordinaire, parce qu’il s’agit du mécanisme courant du déni, extraordinaire parce qu’il se donne comme le nec plus ultra d’un mode de vie lourdement prédominant en Occident. En effet, la lutte pour «préserver les acquis», comme on dit, s’accommode d’abord fort bien de l’esquive adroite. Puis l’esquive se systématise dès lors que l’on suspecte – parfois à tort – une menace, que l’on entrevoit une embûche sur la voie fixée. Nous serions ainsi intimés – dans tous les sens – à «faire comme si» certaines réalités n’existaient pas. La contrainte à l’oubli est de la sorte intériorisée, sinon banalisée comme allant de soi. Par conséquent, pourquoi ne pas se laisser aller à la fascination? Et d’un autre point de vue, en quoi y a-t-il mode de défense, de quoi se défendrait-on en étant volontiers fasciné? En ne considérant que son caractère plaisant, que ses logiques rassurantes, à qui, à quoi l’être fasciné tournerait-il le dos, et pourquoi? [23.20.220.59] Project MUSE (2024-03-19 07:22 GMT) Le glissement vers l’indifférenciation 97 Enfin, dans quelle mesure un déni bien portant taillerait à coup sûr...