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CONCLUSION Pour une nouvelle éthique de l’émancipation Jean-Guy Lacroix Département de sociologie, Université du Québec à Montréal […] la soumission est peut-être la blessure humaine la plus difficile à guérir. Cette habitude creuse très profond, déforme l’homme tout entier, n’épargne aucune partie du corps. Passer de n’être personne à être quelqu’un, c’est le voyage le plus long que puisse entreprendre un être humain. Henning Mankell, La lionne blanche, Paris, Éditions du Seuil, 2004 [1994], p. 2791. Si l’émancipation n’est pas facile à réaliser, comme Gaëtan Tremblay le fait remarquer en amorce de son texte sur l’importance de la communication dans l’émancipation et l’inverse, traiter de cette question et de cette réalité n’est également pas des plus faciles, du fait de l’ampleur de ce questionnement, de la multiplicité des facettes de cette problématique, de la diversité des aspects qui doivent être pris en considération, des dimensions de la réalité en transformation constituant l’émancipation – incluant les désirs et les aspirations, comme les contraintes et les limitations, voire les blocages. Cela pourrait expliquer pourquoi la question de l’émancipation a été si peu traitée en tant que telle, comme objet principal de la réflexion scientifique, 1. Mankell situe l’action de ce polar dans le contexte de la montée de la révolution noire sous l’impulsion de Nelson Mandela. L’extrait cité en exergue est exprimé par un personnage, un noir, qui tente d’expliquer à l’inspecteur Wallander, un blanc, comment les conditions d’existence liées à ses origines et sous l’apartheid d’Afrique du Sud l’ont conduit dans les abîmes du crime. 298 L’émancipation, hier et aujourd’hui même si on y fait référence à des degrés divers dans certains travaux. Dominique Carré fait d’ailleurs remarquer à ce propos, dès les premières lignes de son texte, que la notion d’émancipation est quasi absente de la plupart des dictionnaires de sciences humaines et sociales. Étrange n’est-ce pas cette discrétion des sciences humaines, comme celle de la réflexion sociale en général sur l’humain et la société dans leur émancipation sociohistorique? Serait-ce dû aux miasmes engluant la réflexion et l’imaginaire dans ce contexte d’une société s’étant faite néolibérale, si tant que nous puissions encore qualifier de sociétale une telle «collectivité» réduite au marché et uniquement au marché, devenue incapable de réfléchir sur elle-même? Ferions-nous face à un «oubli», ou pire à une négation des fondements de l’existence humaine et de l’humanité? Serions-nous en pleine inconscience des enjeux et des conséquences de la forme et du contenu que prend l’existentiel à ce moment actuel du mouvement sociohistorique? Les humains se seraient-ils déchus eux-mêmes dans une irrationalité profonde et généralisée, que Max Horkheimer dénonçait déjà au milieu du XX e siècle2 ? Le colloque qui a conduit à la publication de cet ouvrage collectif avait justement comme objectif de briser ce mur d’indifférence, d’oubli et d’inconséquence épistémologique. L’ampleur, la complexité, la difficult é de réfléchir à et de traiter de l’émancipation expliquent donc que cet ouvrage se caractérise par une diversité importantes de contributions , d’objets abordés et d’angles d’approche. Toutefois, à travers même cette diversité des contributions, cet ouvrage se caractérise aussi et surtout par des visions, des analyses, des constats et des propositions – ce qu’il y aurait à faire aujourd’hui/demain pour poursuivre vers l’émancipation de l’être humain –, qui se recoupent, se confirment et s’étayent. 2. HORKHEIMER, M. 1974 [1947]. Éclipse de la raison, Paris, Payot, particuli èrement le chapitre IV, «Émergence et Déclin de l’Individu» (p. 137-168), où il dit vers la fin de celui-ci: «L’irrationalité continue à modeler le destin des hommes» (p. 164). Dans une préface à cet ouvrage, écrite en 1946, Horkheimer disait dans le même esprit: «Plus le savoir technique se développe et plus, semble-t-il, l’homme voit se réduire l’horizon de sa pensée et de son activité, son autonomie en tant qu’individu, sa capacité de résister aux techniques envahissantes de la manipulation de masse, sa...

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