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De l’émancipation éducative à l’émancipation communicationnelle? Dominique Carré Sciences de l’information et de la communication, Université Paris13 1. VOUS AVEZ DIT ÉMANCIPATION? Traiter de l’émancipation n’est pas si aisé que cela. En effet, cette notion n’est guère présente dans la plupart des dictionnaires de sciences humaines et sociales. Par exemple dans le Dictionnaire critique de la sociologie (Boudon et Bourricaud, 1986), «émancipation» ne s’y trouve pas dans les articles définis. Cette notion est même absente de l’index thématique général. Elle demeure aussi inconnue du dictionnaire traitant du Vocabulaire technique et critique de la philosophie (Lalande, 1983). Même l’Encyclopédie Universalis n’y fait pas référence directement dans ses corpus, on ne trouve finalement cette notion que dans le thésaurus-index, p. 1197-1198. Cette encyclopédie en donne une définition très juridique «cessation anticipée de l’autorité parentale» et renvoie ensuite à «abolitionnisme», «incapacités juridiques», «noirs (États-Unis)» et «émancipation des juifs». Même l’encyclopédie collaborative en ligne Wikipédia n’est guère prolixe. Pourquoi une telle absence? Serait-ce parce que la notion d’émancipation est avant tout une notion marxiste? Nous sommes enclins à le penser. Reportons nous à l’œuvre de K. Marx, pour saisir cette notion. L’émancipation est au cœur de deux principales publications de cet auteur: La question juive (Marx, 1883) et Les manuscrits (Marx, 1884). Dans ces écrits, K. Marx se propose dans un premier temps d’émanciper la philosophie de la religion pour lui donner un caractère scientifique, et dans un deuxième temps de reprendre la catégorie «d’aliénation» pour la transposer de la pensée religieuse de Feuerbach à sa propre critique politique. Ainsi l’émancipation est un dérivé de l’analyse de l’aliénation. L’émancipation humaine toujours pour cet auteur ne saurait se réaliser par un 260 L’émancipation, hier et aujourd’hui intermédiaire, fût-il l’État. L’émancipation est la suppression de tout intermédiaire, entre l’homme et lui-même. L’auteur développe alors une critique féroce de l’économie en tant que science de l’aliénation humaine. En quoi consiste l’aliénation de l’ouvrier pour K. Marx? Aliénation dans le produit de son travail, dans l’acte même de production , dans la division du travail et dans l’argent. L’aliénation est une pratique du dessaisissement. Pour K. Marx, la vocation du communisme doit permettre l’émancipation totale de l’homme c’est-à-dire de la libération de toutes les aliénations et l’émancipation de tous les sens humains. Signalons que cette notion deviendra, en France, prépondérante dans les productions discursives produites par les acteurs de mai 1968 et par les commentateurs de cet événement. La pensée de 1968 est ainsi perçue comme émancipatrice de l’autoritarisme de la société française (morale bourgeoise étouffante, révolte contre les institutions et les traditions…), mais aussi on l’oublie trop souvent de certains carcans idéologiques. Depuis la fin des années 1970, force est de reconnaître, la notion d’émancipation n’est plus guère usitée. 2. DEUX MANIÈRES DE CONCEVOIR L’ÉMANCIPATION L’objet des quelques pages qui suivent consiste à analyser et à évaluer de quelle manière l’émancipation est mise en œuvre par les acteurs de l’action collective, à deux époques différentes et à travers deux modèles. Dans le premier modèle, le mouvement ouvrier (fin du XIX emi -XX e siècle) inscrit les pratiques d’éducation populaire au cœur même de son dispositif d’émancipation de la classe ouvrière. Dans le deuxième modèle, délaissant l’éducation populaire, les mouvements sociaux contemporains spécialisés (fin du XX e-début du XXI e siècle), favorisent, le plus souvent, la mise en œuvre d’un engagement par projets, pour reprendre la terminologie de F. Granjon (2000). Ils retiennent alors une tout autre approche en recherchant la mise en place de pratiques de conscientisation communicationnelles au cœur même de leur dispositif d’émancipation et de transformation sociale. L’objectif recherché ici consiste à esquisser, et ce à grands traits, les principales caractéristiques de ces deux modèles mis en œuvre, l’un passé – l’émancipation éducative –; l’autre encore en émergence et...

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