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L2 jeu comm2 «intersice social» À propos d’une expérience d’intervention ludique à Paris Luc LévesQue Au moment où les conditionnements du divertissement programmé et de la consommation tendent à envahir les moindres replis de la vie contemporaine, au moment où l’ouverture de l’espace public paraît de plus en plus assujettie à cette condition, la question du« vivre ensemble » nous semble plus que jamais appeler l’imagination d’attitudes et de dispositifs susceptibles de catalyser la rencontre, le brassage concret et transversal des subjectivités. En milieu urbain, l’occurrence concrète de telles trajectoires transversales est moins évidente qu’il n’y paraît. C’est qu’elles impliquent notamment de sortir du cadre confortable et plus ou moins passif dans lequel s’inscrit la figure dominante du spectateur consommateur . Cette constatation n’est pas nouvelle, elle fut faite entre autres avec insistance dès les années 1950 par la mouvance situationniste. L’accélération exponentielle que connaît depuis lors l’emprise de la«société du spectacle» (Debord, 1967) a renforcé la prégnance de ce constat. Si l’ambition exprimée alors d’un renversement total de cette tendance n’est aujourd’hui plus vraiment de mise, l’arsenal conceptuel développé dans cette foulée demeure toujours riche en pistes de réflexion. Parmi ces thèmes nous retiendrons plus spécifiquement ici ceux de «construction de situations» et de «jeu» (Debord et al., 1958: 9-12) qui ouvrent une perspective expérimentale sur les modes d’activation ou de réactivation quotidiennes du «vivre ensemble» urbain. Avant de relater le cas d’une expérience où nous nous sommes engagés en 2007 à Paris, parcourons brièvement quelques références conceptuelles associées à ces thèmes. Autour de quelques repères conceptuels L’idée de «construction de situations» promue par Debord et ses comparses suggère d’abord un angle d’approche particulier pour aborder la problématique du «vivre ensemble»: celui du projet ou de l’action. De ce point de vue, le «vivre ensemble» est moins 194 — Cahiers du gerse une condition générale à observer ou à éprouver qu’un agencement spécifique à construire et à expérimenter. Construire des situations de «vivre ensemble», des situations propices à la «rencontre des subjectivités», tel pourrait être un projet afférent à cette perspective , un projet pour lequel la ville constitue sans contredit un champ potentiel privilégié d’actualisation. Mais suivant quelles modalités aborder ce projet? Les situationnistes Kotanyi et Vaneigem (1961: 18) fournissent une piste potentielle à cet égard quand ils associent la «construction de situations» à une forme de destruction ou de trouée positive d’un conditionnement urbain dominant. La situation comme «trou positif» viserait ainsi «la libération des énergies inépuisables contenues dans la vie quotidienne pétrifiée», percée ouvrant la voie notamment à une expérience intensifiée de l’altérité, à l’«aventure» indécidable de la rencontre avec l’Autre. Ce propos trouve un écho dans celui plus récent de Nicolas Bourriaud (1998 : 14-16) qui pose l’hypothèse d’un « art relationnel » contemporain générateur d’«interstices»; l’interstice étant conçu ici comme un «espace de relations qui tout en s’insérant plus ou moins harmonieusement et ouvertement dans le système global (de l’économie, symbolique ou matérielle régissant la société) suggère d’autres possibilités d’échanges que celles qui sont en vigueur dans ce système ». Pour Bourriaud, le « contexte social actuel limite d’autant plus les possibilités de relations interhumaines qu’il crée des espaces prévus à cet effet». Face aux «zones de communication» instituées, la figure polymorphe, nomade et indéterminée de l’interstitiel formerait en quelque sorte le diagramme de trajectoires de sociabilités alternatives, les modalités d’un champ d’expérimentation du «vivre ensemble» misant sur le caractère impromptu, singulier et «moléculaire» (Guattari, 1977; Deleuze et Guattari, 1980) de situations à construire et à vivre. Alors qu’immergés dans une société urbaine et médiatique nous vivons, pour reprendre l’expression d’Althusser (1982: 557), un «état de rencontre imposé» virtuellement continu, l’interstice affirmerait les potentiels de la rencontre comme singularité ou discontinuité s’immisçant dans l’ordre habituel des choses. Dans les discours traitant de la condition urbaine, on tend à associer souvent l’interstice à une donnée spatio-temporelle liée aux friches...

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