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CHAPITRE 2 PRÉGNANCE ET LIMITES D’UNE APPROCHE ESTHÉTIQUE DE L’ENVIRONNEMENT Lionel Charles Bernard Kalaora L’expérience collective mais aussi individuelle de la nature dans le monde français, qui marque de son empreinte très forte les pratiques en matière de conservation, est la source d’une intense et récurrente frustration, largement partagée et ressentie. La nature apparaît ainsi désinvestie, vide, non-lieu, utopie par excès comme par défaut d’appropriation, comme s’il manquait la focale pour la saisir et s’accorder à son propos. La nature est en France lieu de dispute, de rivalité, de contestation voire de conflits dont l’histoire récente ou plus ancienne offre une multitude d’illustrations. Quel sens, quelle portée donner à cette frustration, point de départ de notre réflexion? Peut-on mieux la caractériser? La disharmonie sousjacente est largement liée selon nous à ce que l’expérience de la nature prend le plus souvent l’allure d’imposition, de visées savantes, esthétisantes, culturalistes ou administratives avec la clôture qui y est systématiquement 28 Le paysage attachée, ou a contrario de leur absence éprouvée comme manque à être, plutôt que d’une expérience directe, quotidienne, spontanée, support d’échange, de relation et donc d’une capacité renouvelée à se situer dans le monde. La découverte moderne de la nature (Baridon, 2006) a été un puissant révélateur d’un univers émotionnel inédit jusque-là dans la tradition occidentale, d’une promotion du sensible, témoignant d’une rencontre directe entre l’individu et le monde. Cette émergence du sensible constitue aussi l’ouverture d’un champ collectif entièrement nouveau, le point de départ d’une dynamique interindividuelle incontrôlable, dont on n’a cessé de constater l’extension, débarrassée du poids des impératifs et des déterminismes externes, univers premier d’un échange généralisé, de transferts et de réappropriations. Cette dimension, si elle est présente en France, n’a néanmoins jamais acquis un statut autre que secondaire, sinon marginal. Elle n’est jamais apparue comme un vecteur capable de modifier en profondeur la société, comme elle a pu le faire en GrandeBretagne par exemple, où elle est l’objet d’études attentives (Thomas, 1983; Taylor, 1998). Derrière cette différence apparaît un enjeu plus large, celui de la diversité des cultures européennes de la nature que reflète l’hétérogénéité des pratiques et des visions paysagères. Un regard superficiel pourrait laisser penser à une proximité entre les divers pays européens minimisant les différences dans les perceptions et l’action individuelle ou collective, mais il n’en est rien. Il existe en fait de nombreux et importants clivages dans ces registres entre Europe du Nord et Europe du Sud, pays de tradition catholique ou protestante, pays centralisés ou décentralisés, etc. On ne cherchera pas ici à appréhender cette problématique très large dans son ensemble. Nous nous intéresserons plutôt, pour illustrer cette question délicate, aux divergences entre démarches françaises et anglo-saxonnes, en nous concentrant plus précisément sur la tradition anglaise du rapport à la nature, envisagée comme soubassement à la constitution de l’environnement , et à ce que ces divergences révèlent de ce qui les distingue. On fera ainsi apparaître le poids de spécificités qui sont non seulement constitutives de l’élaboration des regards mais qui organisent aussi les dynamiques collectives à de multiples échelles et sur de nombreux plans opératoires (institutions, participation, relations, etc.). L’ESTHÉTIQUE AU CŒUR DE L’ENVIRONNEMENT Pour illustrer cette première idée, nous nous appuierons sur la réflexion d’un acteur de premier plan de l’environnement, le naturaliste étatsunien Edward O. Wilson (1988). Son travail en faveur de la biodiversité, dont il [18.119.120.120] Project MUSE (2024-04-26 06:25 GMT) Prégnance et limites d’une approche esthétique de l’environnement 29 a promu le concept dès les années 1980, est nourri, voire enveloppé, évidemment de façon discrète mais néanmoins très nette, par la dimension esthétique, très perceptible dans son ouvrage The Diversity of Life (1992), qui s’ouvre et se referme sur un...

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