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CHAPITRE 17 LES ENJEUX DU PAYSAGE Hélène Hatzfeld Il est habituel de définir le paysage par une caractéristique esthétique: un paysage serait une partie d’espace, découpée par notre regard, jugée naturellement belle ou «artialisée» (Roger, 1997) par un aménagement. Dans cette perspective picturale, particulièrement vivace en France, les paysages urbains ou suburbains provoquent souvent la polémique1 : ils ne pourraient être qualifiés de paysages parce qu’ils ne répondent pas aux qualités esthétiques attendues ou parce qu’ils n’offrent pas d’éléments naturels. Michel Corajoud, paysagiste, estime ainsi «que l’on a introduit la plus grande 1. L’expression «paysage urbain» a été employée dans la seconde moitié du xxe siècle par des géographes désireux de sortir leur discipline d’approches trop exclusivement morphologiques (Bailly, Raffestin et Reymond, 1980; Loiseau, Terrasson et Trochel, 1993) et par des paysagistes pour s’opposer aux conceptions de l’architecture moderne et de l’urbanisme fonctionnaliste (Tomas, 1983; Masboungi et Gravelaine, 2002). Inversement, le point de vue littéraire et philosophique a souvent défendu une définition du paysage privilégiant ses aspects esthétiques et naturels (Berque, 1994; Roger, 1995). 314 Le paysage confusion avec la notion de paysage urbain» parce que «la ville est un montage dont l’unité n’est qu’un artefact» (1995, p. 146). L’idée de paysage est aussi mise en question par la valorisation qu’en font les politiques d’aménagement urbain2 , la demande sociale croissante dont ce même paysage est l’objet depuis quelques années (Mercier, 2004; Hatzfeld, 2006). Ce débat est significatif d’une transformation de la signification du paysage dans le monde contemporain. De regard porté sur un lieu, il devient un enjeu potentiel de tout lieu: «le concept de «droit au paysage» étendu à la totalité du territoire signifie élever à la même dignité les paysages ordinaires dans les confrontations avec ceux reconnus comme excellents» (Crotti, 2002, p. 33). Il apparaît ainsi comme un catalyseur de questions significatives de notre post modernité, dans un monde de migrations et de mutations rapides, où s’effacent les ancrages territoriaux et les repères porteurs des identités collectives traditionnelles. Il devient à la fois le mode d’expression d’une quête d’identité, de repères partagés, d’un savoir habiter la Terre renouvelé, et l’enjeu de finalités contradictoires car simultanément environnementales, sociales et économiques. C’est en cela qu’il est d’abord un projet politique. Mais il ne peut jouer un rôle fédérateur, devenir un bien commun que si certaines conditions de droit, de conception, d’éducation , sont remplies, que si la question des rôles et des légitimités à intervenir sur des aménagements de territoires est posée. Le paysage est donc aussi un projet politique en ce qu’il appelle à redéfinir la pratique de la démocratie et de la citoyenneté, dans une perspective qui dépasse les échelles locales ou nationales pour mettre en évidence ce qui les relie, les traverse. UN PROJET POLITIQUE PAR SES FINALITÉS Le fait que le paysage témoigne d’une projection de l’homme sur ce qui l’entoure, qu’il exprime un rapport au monde, une civilisation3, n’est pas nouveau: les paysages légués par les Romains bâtisseurs (Guidoni, 1981), par les moines du Moyen Âge (Catherinot, 2006), les parcs nationaux états-uniens (Bory, 2006; Duban, 2006) sont autant d’exemples des projets culturels qui les inspirent. Ce qui est apparent aujourd’hui, c’est la construction par laquelle cette projection prend forme: non dans l’extériorité d’un regard surplombant comme dans les tableaux de Friedrich, mais dans la recherche de sensations, d’ambiances, d’une relation vécue du corps avec 2. En atteste par exemple la multiplication des zones de protection du patrimoine paysager, architectural et urbain (ZPPAU). 3. Augustin Berque voit dans le paysage «les références au moyen desquelles la société situe son environnement et du même pas se situe elle-même» , (1994, p. 7). [18.189.180.76] Project MUSE (2024-04-20 01:02 GMT) Les enjeux du paysage 315 son environnement (Brisson, 2008; Grandin-Maurin et Giorgiutti, 2003; Bédard, 2004), à différentes échelles, du pot d’échappement à l’horizon. Cette construction tente aussi...

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