In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

CHAPITRE 8 LES LIAISONS TRANSCONTINENTALES ET LA PRODUCTION PAYSAGÈRE TRACÉS FERROVIAIRES ET PHOTOGRAPHIES MIGRANTES Suzanne Paquet La puissance transformatrice du train et des autres modes de transport rapides, dans le paysage et sur sa saisie, est bien connue: modifications ou réorganisations du territoire causées par le tracé et le passage des lignes et des voies et nouveau mode d’appréciation des sites et paysages par les voyageurs – notamment la vue latérale, par la fenêtre d’un véhicule lancé à grande vitesse (Chéroux, 1996; Corbin, 2001; Jackson, 1980; Wilson, 1991). La vision ou la visualisation caractéristique qui accompagne le voyage en train non seulement «régularise» le paysage – tous voient la même chose par la fenêtre – mais aussi le particularise comme une chose distante et panoramique (Foster, 2003) tout comme le ferait une photographie . Et, disait de Cormenin, «[u]ne heureuse coïncidence a permis que la photographie fut trouvée au moment même de la plus grande extension des chemins de fer» (1852, p. 124). Il ajoutait que puisque les voyages étaient facilités par le train et que les explorateurs disposaient désormais 146 Le paysage d’un moyen de reproduction mécanique, la photographie permettrait à tous de faire le tour du monde en rapportant «l’univers en portefeuille, sans que nous quittions notre fauteuil» (Ibid.). Pourtant, si l’on reconnaît sans peine la force de transformation du chemin de fer, on a tendance à négliger le pouvoir opératoire des représentations photographiques, peut- être en raison de leur précoce banalisation. Plus qu’une simple contribution symbolique ou une symbolisation qui viendrait après coup comme pour d’autres modes de représentation, l’image photographique, en plus d’être liée à cette forme de saisie qui change les lieux en paysages, participe de pratiques spatiales qui, de par l’usage qui en est fait par certains acteurs politiques et économiques, déterminent les modalités de la configuration de l’espace en Occident. Urry (2002) affirme avec raison que le milieu du xixe siècle est l’un de ces moments remarquables où le monde semble se redéfinir alors que de nouveaux modèles de relations s’établissent irrémédiablement. Si pour Urry ce moment magique, 1840, correspond à celui où le «tourist gaze» devient une composante de la modernité occidentale, nous irions au-delà du seul rapport voyage et photographie qui fonde le tourisme pour suggérer qu’il s’agit du moment où un système particulier de valeurs et de normes influant sur la perception du monde s’installe, par une action combinée qui, à coup sûr, (re)façonne à la fois le monde et la vision (ou les interprétations) qu’on en a. Les liens déplacement des personnes et transmission des images se nouent alors, par l’association de technologies d’invention récente. La photographie et le chemin de fer, deux techniques développées de façon quasi synchrone dans la deuxième moitié du xixe siècle et entre lesquelles d’étroits rapports s’établissent presque immédiatement, seraient les deux agents indissociables à l’origine d’une logique de la mobilité qui est, tout bien considéré, une logique paysagère. Ce sont les modalités de la constitution de ce phénomène, de même que ses incidences, que nous souhaitons ici aborder, et ce, en évoquant le cas du Canada. ÉMERGENCE D’UNE LOGIQUE PAYSAGÈRE Au xixe siècle, chemin de fer et photographie sont tous deux alliés aux conquêtes territoriales dont résulte la formation d’imaginaires géographiques et d’identités nationales spécifiques. Si le train et ses voies constituent un moyen physique de domination des territoires, la photographie s’avère un remarquable instrument d’appropriation de ceux-ci. Lefebvre (2000) soutient ainsi qu’une société produit son espace en le dominant et [3.144.42.196] Project MUSE (2024-04-19 06:46 GMT) Les liaisons transcontinentales et la production paysagère 147 en se l’appropriant, l’espace contenant ses représentations et celles-ci agissant sur l’espace: «elles s’insèrent en les modifiant dans les textures spatiales» (Lefebvre, 2000, p. 52). L’interaction chemin de fer et photographie est exemplaire du maillage serré entre les pratiques spatiales et les représentations de l’espace dont parle Lefebvre. C’est...

Share