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CHAPITRE 7 DE L’AUVERGNE AU QUÉBEC OU COMMENT HABITER LES PAYSAGES SELON ROLAND BOURNEUF Christiane Lahaie Dans Le paysage et la mémoire, Simon Schama affirme que «[l]es paysages sont culturels avant d’être naturels; ce sont des constructions que l’imaginaire projette sur le bois, l’eau, le rocher» (1999, p. 73). À titre de production humaine, le paysage répondrait ainsi à certains impératifs tant pratiques qu’esthétiques, à un art d’«habiter la terre», propre à une culture, à une société donnée. Pierre Nora abonde dans le même sens: [l]a mémoire des lieux et des paysages fait assurément partie des mémoires de la nation. […] Cette mémoire agit donc en plusieurs sens: en premier lieu, l’appropriation collective, par l’image et les représentations, d’un ensemble géographique qui dépasse les expériences individuelles. Le paysage est alors objet de mémoire, carte mentale (1986, p. 487). 128 Le paysage Or, s’il peut sembler facile de circonscrire le rôle de l’humain dans le modelage physique des paysages, s’il paraît aisé de reconnaître l’apport des peintres paysagistes dans le raffinement des points de vue (Roger, 1997), il demeure ardu de délimiter la contribution de la littérature dans la configuration de l’imaginaire paysager et, ce faisant, de circonscrire celle des littéraires dans notre façon d’occuper l’espace, du rôle qu’ils jouent quant à la nature de notre être-ensemble sur cette frêle planète qui est la nôtre. En effet, quel serait l’apport spécifique de l’œuvre littéraire dans cette formation / déformation du regard et dans l’appropriation de l’espace géographique par le biais de l’imaginaire? Qu’en est-il de ce tribut déjà mince dans le contexte peu mimétique du genre narratif bref? Car nul ne peut le nier, quelle que soit la forme qu’il prenne, le paysage littéraire témoigne d’une évidente volonté de saisie du monde, laquelle saisie n’aurait pour seul véhicule que… les mots. Quels seraient donc ces paysages de mots, si concis soient-ils? Peuvent-ils contribuer à produire ou à façonner les paysages réels et, partant, à modifier nos déambulations? Quant au genre préconisé par les écrivains, a-t-il un impact sur la représentation des paysages? L’étude de l’œuvre nouvellière de Roland Bourneuf, d’abord empreinte des paysages de l’Auvergne natale de l’auteur, puis marquée progressivement par ceux du Québec, permettra d’explorer ce sentier encore peu balisé. Certes, Nora suggère que l’étude d’une œuvre isolée ne peut rendre compte d’un «habitare» collectif. Si le présent cas de figure ne peut prouver hors de tout doute en quoi l’occupation du territoire auvergnat diffère de celle du territoire canadien, voire québécois (ou qu’elle lui ressemble), nous croyons toutefois qu’une telle approche peut illustrer à quel point l’espace perçu au quotidien marque l’imaginaire et le transforme. De là à dire que la fréquentation d’œuvres littéraires peut modifier, en profondeur, notre appropriation des paysages et notre saisie, réelle ou virtuelle, du territoire, il n’y a qu’un pas, que nous sommes bien tentée de franchir… L’ESPACE ET LA LITTÉRATURE Comment la littérature parvient-elle à exprimer l’expérience d’un lieu, à la créer ou à la reproduire, à re-présenter le lieu ou, encore, à le faire surgir des profondeurs de l’imaginaire? Posons d’emblée qu’en raison de son statut d’indicateur identitaire, on ne peut faire autrement que soupeser la spatialité que prend, revêt toute culture et, parallèlement, la façon, à un niveau individuel et symbolique, c’est-à-dire passée dans le langage, imaginée, la façon […] dont l’homme exprime [3.138.114.94] Project MUSE (2024-04-20 04:29 GMT) De l’Auvergne au Québec 129 l’occupation de l’espace par son corps et les relations que le corps entretient avec l’espace, même à travers un texte littéraire (Pageaux, 2000, p. 132). Nul ne peut nier que, en dehors du réel et de la matérialité, le lieu fasse l’objet d’une appropriation qui ressortit à l’art et à l’imaginaire: «un lieu...

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