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CHAPITRE 4 LA CONSTRUCTION IDENTITAIRE D’UN HAUT-LIEU TOURISTIQUE FRANÇAIS LES GORGES DE L’ARDÈCHE (1840-1914) Jean-Paul Bravard Une des questions posées dans le cadre de ce colloque interroge la façon dont un paysage, façonné par des hommes, aide à construire les «fondements d’une identité partagée, au-delà de l’histoire et de la géographie de chaque territoire». Il s’agit aussi de questionner la réalité d’une «conscience socioterritoriale et d’une géosymbolique foncièrement européennes». Nous allons examiner la façon dont un haut-lieu actuel du tourisme de nature européen, les Gorges de l’Ardèche, en Ardèche, s’est constitué en tant qu’espace naturel et nous interroger in fine sur le fait de savoir s’il possède également une valeur culturelle. La question est de savoir si dès l’origine, à la fin du xixe siècle, le concept de cet espace de nature était déjà dans les limbes et si sa construction s’est déroulée selon une histoire linéaire, ou s’il possède une origine différente et s’il a connu des ajustements par rapport aux perspectives initiales. 72 Le paysage À la fin du xixe siècle, les Gorges de l’Ardèche étaient un haut-lieu touristique de la France méridionale dont la clientèle, aisée, se recrutait surtout parmi les curistes de la station thermale de Vals-les-Bains et dans la bourgeoisie des villes rhodaniennes voisines. La station de Vals avait été créée entre 1865 et 1869 à l’initiative de médecins lyonnais avec l’aide de capitaux marseillais; équipée de l’inévitable casino, la station cherchait également des lieux d’excursion pour des curistes fortunés au nombre de 4 à 5 000 à la fin du siècle (Giraudier, 2000). Les Gorges de l’Ardèche, au pied des montagnes cévenoles, allaient fournir un but recherché. La descente en barque sous la conduite de mariniers du pays était bien l’une des attractions-phares du séjour. La promotion de ce site par la littérature, la publicité et l’image, valorisait des éléments paysagers et culturels très méditerranéens qui étonnent quelque peu aujourd’hui: la référence à l’Antiquité biblique et grecque notamment. Or, en rupture avec cette représentation , les gorges de l’Ardèche sont aujourd’hui l’archétype du canyon écologique et sportif dans un désert humain. Elles sont devenues le théâtre de conflits assez âpres entre deux conceptions de l’environnement: la protection du site et de ses richesses paysagères et biologiques, et la valorisation par le tourisme de masse. Cette contribution questionnera la façon dont s’est construite l’image des gorges de l’Ardèche depuis leur invention en 1840 et la nature du projet qui l’accompagnait. Plus spécifiquement, nous chercherons à voir si la transformation du projet élitiste primitif en un projet de valorisation économique est simplement un phénomène socioéconomique classique ou si elle incorpore une mutation objective du paysage qui conduirait à la conception actuelle, très environnementaliste ? L’article présente les éléments de cette mise en scène, ses causes et les raisons probables du changement d’image survenu au xxe siècle. LES GORGES À LA FIN DU XIXe SIÈCLE: LA QUÊTE ARISTOCRATIQUE DU VOYAGE INITIATIQUE C’est en 1842 qu’Albert du Boys publie l’ouvrage dans lequel il relate sa visite des gorges sous la direction de «naïfs bateliers». Qui d’autre qu’eux excursionne dans ces gorges? Des chanoines, qui se noient d’ailleurs en 1868 ou 1869, ainsi que des membres du Club alpin français dont le docteur Chabane préside la section de Vals (Mazon1, 1885), Paul d’Albigny, 1. Albin Mazon, également connu sous le pseudonyme de Dr Francus, a fait paraître en 1885 son «Voyage le long de la rivière Ardèche», le 5e des treize voyages qu’il a publiés. Ce texte rassemble les souvenirs d’une descente de la rivière faite en 1875 et publiée alors dans le journal L’Écho de l’Ardèche comme «Notes d’un touriste». [3.133.12.172] Project MUSE (2024-04-24 16:15 GMT) La construction identitaire d’un haut-lieu touristique français 73 fondateur de la Revue du...

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