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Le développement authentique : peut-on le soutenir ?* Denis Goulet Introduction Bien qu’il soit largement admis que les termes « développement » et « durable » sont par essence compatibles, dans les faits ils sont difficilement conciliables. Comme l’observe l’économiste Paul Ekins : Littéralement, il n’y a pas d’expériences d’une économie industrielle environnementalement durable, nulle part au monde, où une telle durabilité réfère à un non- épuisement des réserves à capital environnemental. Il n’est donc pas apparent à prime abord que, basé seulement sur une expérience passée, le terme “ développement durable ” ne soit rien de plus qu’un oxymore. (Ekins, 1992 : 412) La durabilité du développement exige que l’on prenne en considération les limites à la consommation et à l’utilisation des ressources (Elgin, 1981 ; Rifkin, 1980 ; Clark, Pirages, 1977). Par contre, le développement, tel qu’il est compris traditionnellement, requiert une croissance économique qui pourrait conduire à l’épuisement des ressources non renouvelables et à la pollution de l’atmosphère, ce qui va à l’encontre de la durabilité. Nous ne pouvons affirmer qu’un développement soit durable sans avoir auparavant répondu d’une manière satisfaisante aux deux questions suivantes : 1) en quoi consiste la véritable richesse ? et 2) qu’est-ce que le développement authentique ? * Texte traduit par Denis Provençal, traduction approuvée par l’auteur. 64 Contre l’exclusion : repenser l’économie Définir la richesse Parmi les groupes concernés par le développement, la richesse signifie l’accumulation de biens matériels ou économiques. Elle est associée à la consommation de masse ou du moins à une société permettant un accès toujours plus grand à des biens matériels plus que jamais diversifiés. Or, la véritable richesse humaine pourrait résider ailleurs ; et il est peut-être plus précis d’attribuer une valeur purement instrumentale à la richesse économique et d’énoncer que d’autres biens, de nature qualitative, sont constitutifs d’une vraie richesse humaine. Ce point de vue fort différent jaillit de sources variées. Lewis Mumford, lors de l’écriture de son Technics and Civilization, concluait ainsi : Les vraies valeurs ne dérivent ni de la rareté ni du travail humain brut. Ce n’est pas la rareté qui donne à l’air son pouvoir de soutenir la vie, ni même le travail des personnes qui donne au lait ou aux bananes leurs valeurs nutritives. En comparaison des effets du rayonnement solaire ou des réactions chimiques, la contribution des humains est minime. Les véritables valeurs résident dans le pouvoir de soutenir ou enrichir la vie... le jus d’un citron est bien plus valable durant une traversée océanique que cent livres de viande sans citron. La valeur des choses repose sur leur fonction à maintenir la vie, non dans leurs origines, leur rareté, ou dans le travail fait par les agents humains. (Mumford, 1934 : 76) Les premiers pères de l’Église chrétienne — Jean Chrysostome, Grégoire de Nysse, Basile le Grand — prononçaient fréquemment des sermons à propos de la différence qui existe entre la richesse matérielle et la richesse spirituelle (Avila, 1984). Les biens matériels sont de nature limitée et ne peuvent être partagés sans que leurs avantages se perdent... Par contraste, les biens spirituels croissent en intensité et en capacité de satisfaction au fur et à mesure qu’ils sont partagés. Une richesse véritable réside dans l’intime liberté d’utiliser les biens matériels d’une manière instrumentale, lesquels servent à satisfaire nos besoins, tout autant comme tremplin à cultiver ces biens spirituels élevés qui sont les seuls à procurer des satisfactions plus profondes : vertu, amitié, vérité et beauté. Le psychologue Erich Fromm observe notamment que les personnes choisissent toujours une des deux manières de vivre. L’alternative d’Avoir et Être ne fait pas appel au sens commun. Avoir, à ce qu’il paraîtrait, est une fonction normale de notre vie : pour vivre, nous devons avoir des choses. Bien plus, nous devons avoir des choses pour profiter de la vie. Pour une culture dans laquelle le but suprême serait d’avoir — et d’avoir toujours plus — et dans laquelle quelqu’un dirait “ valoir (being worth ) un million de dollars ”, comment peut-il y avoir une alternative entre avoir et être. Au contraire, il appert que l’essence d’être est d’avoir ; donc de n’avoir...

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