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Repenser l’économie pour contrer l’exclusion sociale : de l’utopie à la nécessité Benoît Lévesque Introduction L’expression « repenser l’économie » peut prendre au moins deux significations relativement distinctes. La première est celle des activités économiques à repenser, soit leur fmalité et, notamment, leur rapport au politique et au « social »1 . La seconde signification est celle des approches théoriques à repenser ou encore du rapport entre la science économique et les autres sciences sociales. Si le terme économie peut être utilisé dans les deux cas, il est manifeste qu’on ne parle pas exactement de la même chose. Dans le premier cas, le terme économie serait plus approprié alors que dans le second celui d’économique ou d’activités économiques le serait davantage. Par ailleurs, la définition de l’économie comme activités économiques peut varier considérablement selon les approches. Ainsi, en se définissant comme « science des moyens à mettre en œuvre pour la réalisation des fins choisies » (von Mises cité par Baslé et al., 1988 : 12) sans s’interroger sur ces fins, la science économique dans son courant dominant ne considère les activités économiques que d’un point de vue formel et prétend que ce dernier s’applique à toutes les époques. Comme cette définition est fort 1. Dès le départ, il faut reconnaître que l’économique et le « social » sont des constructions sociales. Ainsi, la question sociale, ou ce qu’on entend par le « social », a varié considérablement de sorte que Donzelot (1984) et Castel (1995) avancent l’idée de « l’invention du social » vers 1830, soit au moment où le paupérisme prend une dimension telle qu’il en arrive à constituer une question « sociale » même pour l’ensemble de la société, y compris pour les libéraux et les partisans du laisser-faire. 18 Contre l’exclusion : repenser l’économie restrictive2 , les anthropologues, les sociologues et les historiens ont eu tendance à considérer ces activités d’un point de vue substantif et global, en tenant compte de l’ensemble des activités de production, de distribution et de consommation des biens et services dans une société. Dès lors, les activités économiques renvoient à une pluralité de formes sociales : forme marchande (le marché), forme non marchande (la redistribution) et forme non monétaire (la réciprocité) (Polanyi, 1983 : 71-112). En somme, la réflexion sur les activités économiques ne doit pas se limiter à la seule définition qu’en propose la science économique conventionnelle. Pour tenir compte de la polysémie de l’expression « repenser l’économie », notre texte sera divisé en deux parties : la première portant sur les activités économiques à repenser (ou le rapport entre l’économique et le social) sera un peu plus élaborée étant donné le thème de l’ouvrage alors que la seconde, visant à montrer l’importance de« repenser la science économique » (ou les approches théoriques pour l’étude des activités économiques), le sera un peu moins. Il est sans aucun doute difficile de repenser l’économique sans devoir repenser la science économique étant donné le poids relativement déterminant de cette dernière sur les politiques et les visions de développement. En effet, si la science économique peut être pensée comme théorisation de pratiques économiques, il est impossible de ne pas voir « comment sont liés économistes théoriciens d’une part et économistes praticiens et détenteurs du pouvoir de décision d’autre part » (Attali et Guillaume, 1974 : 17). Enfin, nous essayerons de montrer que cette double réflexion ne relève pas de l’utopie comme ce fut sans doute le cas à la fin des années 1960 et au début des années 1970. D’une part, la science économique, bien que florissante à certains égards, est maintenant entrée « dans une crise profonde » (Guillaume, 1986 : 204) : une crise de prévision, une crise de la politique économique et une crise de la pensée économique. Cette crise de la science économique qui « a remis à l’honneur l’histoire économique et l’histoire de la pensée économique » (Stoffads, 1987 : 20) ne constitue-t-elle pas une invitation à repenser les postulats de base de cette discipline ? D’autre part, à l’aube du troisième millénaire, il ne s’agit plus d’imaginer des expérimentations à la marge de la société (en petit, à l’échelle...

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