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La situation familiale des enfants déplacés
- Presses de l'Université du Québec
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La situation familiale des enfants déplacés Gaby CARRIER Centre de recherche sur les services communautaires Suzanne BEAUDOIN Centres jeunesse de Québec INTRODUCTION Chaque année, de nombreux enfants sont retirés de leur famille parce que leur sécurité ou leur développement physique ou psychologique est menacé. Au Québec, en mars 1992, 16 208 situations étaient prises en charge en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse et 51,4 % de ces enfants étaient placés en ressource substitut (MSSS, Données opérationnelles, 1992). Ce recours fréquent au placement comme solution aux problèmes familiaux est de plus en plus dénoncé, en raison de ses effets sur les enfants et leurs familles (Gershenson et al., 1990), et parce qu’il semble particulièrement difficile d’offrir à l’enfant, dans le système des ressources, les conditions de vie lui permettant de développer des liens continus et d’une durée significative avec un même environnement familial (Carrier et Beaudoin, 1993 ; Wolfe et Jaffe, 1991 ; Tuma, 1989). Si la sécurité et le développement physique de l’enfant sont mieux assurés, on peut en effet se questionner sur les impacts psychologiques et affectifs du placement en ressource substitut, puisque le retrait d’un enfant de sa famille vient rompre l’équilibre familial, provoque une coupure plus ou moins importante avec les parents, les frères et les soeurs, la parenté et le réseau social, et, dans la plupart des cas, oblige l’enfant à vivre dans une autre famille et à s’adapter à d’autres normes, règles et valeurs que celles qui étaient véhiculées dans sa propre famille. 264 Gaby CARRIER, Suzanne BEAUDOIN En accord avec les principaux travaux empiriques et les résultats de recherches ayant démontré l’importance d’échanges répétés entre l’enfant et certaines personnes de son environnement pour le développement des liens d’attachement durant l’enfance (Bowlby, 1988, 1992), la Loi sur la protection de la jeunesse prévoit que l’enfant doit être maintenu dans toute la mesure du possible dans son milieu familial d’origine, là où il a justement développé ses premiers liens d’attachement. Lorsque le placement est inévitable, la Loi sur la protection de la jeunesse suggère l’utilisation d’un milieu substitut qui peut assurer la continuité des soins et la stabilité des conditions de vie et qui se rapproche le plus possible d’un milieu parental normal1 . Bien que cette définition d’un milieu parental normal ne soit pas précisée dans la loi, on peut prétendre que l’intention est de favoriser une expérience de type familial (famille d’accueil) plutôt qu’institutionnelle (centre d’accueil) pour que l’enfant puisse développer des liens avec des membres d’un groupe familial d’une manière continue et stable durant toute la durée de son placement (Cole, 1985). Malgré la reconnaissance de l’importance de la continuité et de la stabilité de la situation familiale de l’enfant pour le développement de liens d’attachement et de la compétence cognitive et sociale (Cloutier et al., 1991 ; Paterson et Moran, 1988), on observe, à l’examen de certaines trajectoires de placement dans le réseau de la santé et des services sociaux, qu’une partie des enfants suivis en protection de la jeunesse subissent un certain nombre de changements de milieux substituts, offrant ainsi une image de discontinuité de l’expérience familiale : déplacement de ressources, hétérogénéité des milieux substituts, diversité des types de ressources, réinsertions à domicile, retours dans le réseau et séparations de fratrie, sont caractéristiques de plusieurs trajectoires de placement. Ces contextes ne favorisent pas le maintien des liens entre les enfants placés et leur famille, ni la construction d’une relation suivie avec une même famille substitut au cours de la période de placement. De telles situations entraînent éventuellement chez l’enfant la crainte d’être rejeté, une certaine manipulation de l’adulte (mise à l’épreuve de la relation), puis un désinvestissement progressif marqué par des attitudes d’indifférence et d’indépendance (Paterson et Moran, 1988). 1. La Loi sur la protection de la jeunesse stipule que « toute décision prise en vertu de la présente loi doit tendre à maintenir l’enfant dans son milieu parental...