Comprendre la famille 2: Actes du 2e symposium québécois de recherche sur la famille

Stratégies familiales : pour un travail social avec les familles

Stratégies familiales : pour un travail social avec les familles Michèle VATZ LAAROUSSI Département de service social Université de Sherbrooke INTRODUCTION Les années 1990 sont, au Canada, au Québec et dans nombre de nos sociétés occidentales, celles du retour à la famille. Contestée, porteuse de tous les maux de nos années 1980, la famille semble en cette fin de siècle reprendre« ses lettres de noblesse ». Le Rapport Bouchard (1991) au Québec et l’année internationale de la famille qui arrive postulent que les familles existent encore et qu’elles doivent porter tant les responsabilités que les espoirs liés à notre jeunesse. Fin de l’État providence ou conviction d’une réalité sociale à reconnaître, la famille réapparaît dans les discours et programmes politiques ou sociaux. Face à ce retour de La Famille, le concepteur de programmes et l’intervenant social sont amenés à faire avec Les Familles. L’étude des différents types d’intervention sociale ayant la famille pour objet ou pour sujet nous amène à différencier trois champs du travail social en lien avec des approches privilégiées de la famille : − celui du thérapeutique, avec les thérapies familiales, − celui de la prévention, avec l’approche cognitivo-behaviorale ou l’approche d’entraide utilisées dans les groupes de parents, − celui de la protection, en particulier avec le cadre de la protection de la jeunesse qui institue deux objectifs à ses interventions : 74 Michèle VATZ LAAROUSSI 1) protéger l’enfant, 2) redonner aux familles les moyens d’assurer elles-mêmes cette protection. L’analyse transversale de ces trois champs nous permet de décrypter trois fondements implicites aux programmes et interventions actuelles : 1. Dans la nouvelle importance qu’on lui accorde, la famille est perçue comme fondamentalement désorganisée, porteuse de freins au développement des individualités (principalement celles des femmes et des enfants) et à leur adaptation sociale. En ce sens, l’intervention vise le plus souvent à changer le fonctionnement de la famille pour permettre le développement, la croissance et l’épanouissement de ses membres considérés comme vulnérables. Ce changement est le plus souvent présenté comme une ouverture nécessaire du système familial vers l’extérieur ; il se manifeste parfois par « l’extirpation » de ces membres faibles, la famille étant alors perçue comme une prison. 2. Les interventions dites familiales se centrent sur une vision duelle et séparatiste des sexes et des générations. Les programmes d’intervention renforcent ainsi, en se focalisant dessus, les barrières entre hommes et femmes, entre enfants et adultes. Préventifs ou curatifs, les programmes d’intervention dans les familles ciblent essentiellement des populations délimitées selon leur âge et leur sexe. On retrouve ainsi les groupes de femmes violentées, les groupes d’hommes abuseurs sexuels, les groupes de fillettes abusées, les groupes de garçons hyperactifs, etc. Ce morcellement des clientèles renvoie subtilement à un morcellement des familles, les caractéristiques de sexe et d’âge s’associant dans l’imaginaire collectif à des attributs moraux : les enfants victimes innocentes, les adultes parents agresseurs responsables. 3. Face à cette vision des familles désorganisées, les thérapies familiales et les groupes de compétences parentales prônent un modèle familial normé par un type de régulation (le dialogue), des modalités spécifiques de négociation et d’éducation (les droits, devoirs et responsabilités de chacun), une définition individualiste de la responsabilité et de l’autonomie (fixant ainsi les âges des dépendances et des libertés). Ce modèle familial est porté par les experts professionnels de l’éducation ou du social tout comme par les médias (télévision, littérature de vulgarisation psychologique, etc.). Mon expérience de pratique et de recherche en interculturel et en milieu défavorisé m’amène à envisager différemment les modalités du quotidien des familles et à inverser la problématique. En effet, les familles Stratégies familiales : pour un travail social avec les familles 75 présentent actuellement une multiplicité des liens, une diversité des modalités de communication, une variété des moyens d’insertion telles qu’il est impossible de les faire entrer dans ces schèmes d’analyse traditionnels et dualistes. Il semble donc que seule l...