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Introduction Le sujet de la recherche Un des aspects les plus intéressants de l’œuvre de Gramsci consiste dans les matériaux qu’on y trouve pour une méthodologie de la transformation sociale. Il va sans dire, pour un lecteur attentif de ses Écrits politiques1 de 1914 à 1926, de ses Lettres de prison2 et de ses Cahiers de prison3 , que Gramsci, même en abordant explicitement les questions de méthode, ne s’était jamais donné comme objectif d’écrire un traité de méthodologie, qui serait l’équivalent d’un « discours de la méthode » ou « des règles de la méthode sociologique ». Toutefois, la critique systématique et rigoureuse des œuvres de ses prédécesseurs et de ses contemporains l’a amené à identifier et à exprimer la nécessité d’une science politique 1. Antonio GRAMSCI, Écrits politiques (1914-1926). Textes choisis, présentés et annotés par Robert PARIS. Traduction de l’italien par Marie G. MARTIN, en collaboration. Paris, Gallimard, 3 volumes : vol.1,1974, 461 pages ; vol. 2,1975, 374 pages ; vol. 3,1980, 441 pages. Nous désignerons cet ouvrage par EP. 2. AntonioGRAMSCI,Lettres de prison. Traduction de l’italien par Hélène DEPUYER et Georges SARA. Paris, Gallimard, 1971, 620 pages. Nous désignerons cet ouvrage par LP. 3. Cahiers de prison. Introduction, notices et notes de Robert PARIS. Traduction de l’italien par Monique AYMARD et Paolo FULCHIGNONI. Gallimard, 5 volumes : Cahiers 6, 7, 8, 9 (1983), 715 pages ; Cahiers 10, 11, 12, 13 (1978), 549 pages. Dans cette recherche, nous utiliserons principalement les Quaderni del carcere. Torino, Einaudi, 1977, 3 370 pages, édition critique en 4 volumes établie par V. GERRATANA (Istituto Gramsci). Nous désignerons cette édition par Q pour Quaderni. Nous désignerons par C les Cahiers de prison édités en 5 volumes par Gallimard ; nous indiquerons nos propres traductions par E. J. nouvelle et autonome4 . Cette science politique, Gramsci la concevait sur une base autre que celle des courants dominants de son époque : matérialisme mécaniste et déterministe, positivisme et empirisme, économisme et idéologisme, etc. Il fallait opérer une « révolution scientifique » pour libérer la praxis de ces courants de pensée qui avaient tendance à stériliser tant la réflexion théorique que l’engagement dans l’action concrète. C’est dans cette perspective que Gramsci a accumulé un ensemble de matériaux pour un « exposé élémentaire de science et d’art politiques compris comme un ensemble de canons pratiques pour la recherche et d’observations particulières, dont l’utilité est de réveiller l’intérêt pour la réalité effective et de susciter des intuitions politiques plus rigoureuses et plus vigoureuses5». Selon lui, un exposé élémentaire d’art et de science politiques devrait partir du fait primordial qu’il existe des dirigeants et des dirigés : Le premier élément, c’est qu’il existe réellement des gouvernés et des gouvernants, des dirigeants et des dirigés. Toute la science et l’art politiques se fondent sur ce fait primordial, irréductible (dans certaines conditions générales)6 . Ce fait étant acquis, le problème qui se pose est celui de la formation des dirigeants : « [...] comment on peut diriger de la manière la plus efficace (une fois définis certains buts) ; comment, en conséquence, assurer la meilleure préparation aux dirigeants7» ? À ce propos, la question fondamentale est de savoir si l’on veut qu’il y ait toujours des gouvernés et des gouvernants, des dirigeants et des dirigés, ou si l’on veut créer les conditions qui permettront la disparition de la nécessité de cette division. La réponse à cette question a des répercussions méthodologiques importantes. Elle varie selon que l’on conçoit la division entre dirigeants et dirigés comme étant liée au principe universel de la division du genre humain, ou bien comme un fait historique, par conséquent, sujet au changement dans des conditions déterminées. Si l’on présuppose que le rapport entre dirigeants et dirigés, gouvernants et gouvernés, comme il se manifeste dans une société particulière, n’est pas une donnée naturelle et irréversible mais un rapport historique, on peut formuler l’hypothèse que ce rapport remonte, en dernière analyse, à une division de la société en groupes sociaux, en...

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