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À partir des communications d’Enric Sulla et d’André Vanasse, on peut dégager un certain nombre de points communs entre les situations des littératures catalane et québécoise, mais aussi des différences qui tiennent pour l’essentiel au contexte sociopolitique à l’intérieur duquel ces littératures se développent. Parmi les diverses questions abordées, j’en privilégierai trois qui m’apparaissent d’une très grande importance stratégique et qui sont d’ailleurs reliées. La question du marché Il semble bien qu’autant en Catalogne qu’au Québec la production ne soit pas un problème. Dans les deux pays, en effet, on écrit et on publie beaucoup. Mais la demande, et c’est surtout vrai pour le Québec, ne suit pas l’offre : les écrivains ne sont guère lus. Les écrivains autochtones, précisons bien, car on sait par ailleurs que les Québécois, sur le plan de la lecture, se comportent comme l’ensemble des Occidentaux : ils lisent, donc, mais des écrivains autres que québécois (français surtout et américains traduits en français). Cette donnée, André Vanasse la prend en compte sur le mode du constat : une société de moins de 10 millions d’habitants ne pourrait engendrer une consommation de lecture pouvant assurer un revenu décent à ses écrivains : cela est présenté comme une évidence, d’autant plus indiscutable Commentaires sur les textes d’Enric Sullà et d’André Vanasse Jacques Pelletier Université du Québec à Montréal que sanctionnée par l’UNESCO. Il reste qu’on pourrait se demander : pourquoi en est-il ainsi ? Poser donc la question de la nature de la production proposée aux consommateurs de livres. Pourquoi les lecteurs québécois ne se reconnaissent-ils pas, ne se retrouvent-ils pas dans leurs écrivains, si l’on excepte Yves Beauchemin, Jacques Godbout, Michel Tremblay et quelques autres ? Poser cette question, c’est s’interroger sur le sens du développement de l’institution littéraire dans la société québécoise. De manière paradoxale, il semble que plus cette institution acquiert son autonomie, se consolide, plus en même temps – et du même mouvement – elle se coupe de son public potentiel, fonctionnant en vase clos, apparaissant regrouper pour l’essentiel des producteurs écrivant pour leurs pairs. Que, dans un tel contexte, la question du marché se pose, n’est somme toute que normal : ce qu’il faudrait interroger, à mon sens, c’est le rapport des écrivains québécois à leur société. En Catalogne, il n’en va pas de même, du moins au cours des années récentes. Enric Sullà nous dit que, par suite du regain de vitalité de la culture catalane, un vaste public de lecteurs est en train de se constituer, si bien que là-bas ce serait plutôt l’offre qui ferait défaut. Les écrivains, en effet, ne se sentiraient plus habités par un sentiment d’urgence à écrire pour sauver une littérature et une culture dont le développement apparaît assuré pour l’essentiel par suite du renouveau consécutif à la chute du franquisme en Espagne. Il semble donc se produire là-bas, dans les années 80, ce qui s’est produit ici à la fin des années 60 : un désengagement des écrivains, leur retrait par rapport aux luttes nationales et sociales et leur abandon par suite d’une certaine forme de littérature engagée, militante (tradition qui sera toutefois réactivée par quelques écrivains, compagnons de route des groupes politiques dans les années 70). Ne risque-t-il pas alors de se produire là-bas ce que nous avons connu ici, c’est-à-dire tout à la fois une consolidation et une structuration de l’institution littéraire et un divorce entre celle-ci et la société, à commencer par la société des lecteurs ? La question de la dépendance La question du marché (de son insuffisance) en soulève une autre : celle de la dépendance. Et, sur ce plan, les situations catalane et québécoise sont assez différentes. Les écrivains québécois, selon André Vanasse, seraient plus ou moins habités par le rêve de percer en France. D’une certaine manière, ce rêve est somme toute naturel : écrivant en français, il est normal qu’ils cherchent à être diffusés...

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