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Le marxisme et son double
- Presses de l'Université du Québec
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LE MARXISME ET SON DOUBLE Dorval BRUNELLE Le marxisme aura été, pour le XXe siècle, ce que le libéralisme a représenté pour le XIXe , c’est-à-dire une alternative à la fois théorique et praxéologique d’un ascendant et d’une prégnance tels que toute réflexion sur la crise des sociétés actuelles est contrainte d’en saisir la mouvance et les déploiements. Non seulement au niveau des options épistémologiques, entre autres, Marx s’est-il avéré le critique le plus percutant du capitalisme, mais également, dans les faits, le socialisme d’inspiration marxienne a incarné l’opposition la plus irrémédiable au mode d’accumulation du capital engagé sous l’égide du marché et de ses lois, avec le résultat très concret que, sur le plan mondial, l’opposition entre les deux systèmes a bel et bien constitué le conflit du siècle ainsi que l’avait fort bien saisi et analysé Fritz Sternberg dans son ouvrage paru en 1951. Sur cette lancée, nous serions ainsi autorisé à avancer que le marxisme et l’antimarxisme tracent les contours d’une confrontation fondamentale qui traverse toute l’histoire de ce siècle, à telle enseigne d’ailleurs que même les alternatives les plus récentes, représentées pour les besoins de la cause par la résurgence d’un libéralisme d’inspiration classique, sont conduites à reprendre une critique du marxisme là où elle avait été laissée en plan il y a plusieurs décennies, c’est-à-dire avant que n’interviennent en particulier tous les compromis engagés sous l’égide d’un étatisme d’inspiration keynésienne. Pourtant, si cette réflexion apparaît fondée au niveau le plus général, il n’en demeure pas moins que, sur un plan plus conjoncturel et en tout cas à l’intérieur même des pays capitalistes développés, le marxisme a perdu de son emprise sur les idées et les projets de réforme des rapports sociaux. Et cette emprise ou cet ascendant ont fondu au point où l’on peut se demander si l’affaissement des paramètres marxiens est une cause, ou seulement un révélateur de l’actuelle désimplication sociétale et militante. Bien sûr, les révélations cumulées des « erreurs de parcours1» commises à l’occasion de l’implantation des socialismes comptent pour beaucoup dans ces désenchantements, mais il faut retenir également les conséquences d’un réajustement idéologique et programmatique majeur intervenu au sein même des pays capitalistes développés avant de cerner les causes profondes d’une crise du marxisme 36 UN SIÈCLE DE MARXISME de cette ampleur dans les pays en question. Nous faisons référence très spécifiquement ici à l’approfondissement de la précarité systémique des économies avancées devant l’augmentation des malheurs des pays du tiers monde d’une part, au recours de plus en plus constant à une forme ou l’autre de replis transnationaux autour de l’institutionnalisation de blocs économiques rassemblant quelques pays nantis engagés dans une concurrence de plus en plus impitoyable d’autre part, comme en témoigne, par exemple, la récente signature d’un accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Dans ces conditions, la survie du ou des marxismes à l’intérieur même des pays capitalistes apparaît de plus en plus comme un enjeu secondaire qui relèverait d’une mésévaluation des capacités rédemptrices des économies développées elles-mêmes. En conséquence, la pertinence du marxisme serait liée, au mieux, au fait qu’il constitue un défi intellectuel contre la rationalité apparente du libéralisme et de l’ordre capitaliste, tandis que, sur le plan politique, il validerait, au pire, le recours à un étatisme intégral. Sur cette toile de fond, nous proposons de mettre à jour une dimension particulière de la crise du marxisme que représente la brèche qui s’est creusée entre l’approfondissement d’une démarche anticapitaliste et antilibérale telle qu’elle a été appliquée en particulier dans le contexte des économies avancées, et l’évolution des processsus en cours dans les pays socialistes dont l’analyse et la critique échappent à toutes fins utiles à ce même cadre d’analyse marxiste. Si...