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LES CRISES DU MARXISME : RÉCURRENCES ET APPROFONDISSEMENTS Alain LIPIEIZ Quoique relevant, par définition, de l’ordre du subjectif, les « crises du marxisme » sont des faits réels, empiriquement constatables : il suffit qu’un nombre significatif d’(ex-)tenants du marxisme le proclament pour que telle crise soit ouverte de droit ! Il est alors vain de noter que par principe le marxisme, de par sa composante (auto-)critique, est toujours en crise : à l’évidence, il y a des périodes où il l’est davantage qu’en d’autres... Ces périodes sont celles où les éléments contradictoires qui le constituent (théorie à prétention scientifique de la réalité historique, idéologie d’une partie du mouvement ouvrier, programme de travail et d’action, conception du monde) perdent leur apparence d’adéquation relative, et d’adéquation à la réalité. Les crises du marxisme vont donc de pair avec les crises socio-politiques, et tout particulièrement avec les crises du mouvement ouvrier. Cependant elles ne s’y dissolvent pas. Pour autant que « le marxisme » (c’est-à-dire, au-delà des écrits de Marx, le « marxisme historiquement constitué », sa lecture dominante, y compris les hétérodoxies qui se posent en s’opposant à cette lecture dominante) constitue un mouvement réel et relativement autonome, il est sujet, comme tout processus, à des périodes de stabilité structurelle et à des phases (ouvertes par ses crises) pouvant conduire à sa disparition, à sa mutation, à des bifurcations... L’histoire des crises du marxisme (y compris l’actuelle crise, manifeste en Europe occidentale depuis le milieu des années soixantedix ) montre la récurrence de certains thèmes, qui engagent plus ou moins la réalité du « marxisme constitué », et dont l’issue remanie plus ou moins profondément l’héritage de la période antérieure. Plus profonde est la remise en question, plus large est le champ de la contestation, car les débats sur les aspects plus superficiels et mineurs de la doctrine sont automatiquement réactivés. La faillite proclamée sur tel point de théorie économique est trop souvent mobilisée au service des reniements politiques... On peut dès lors esquisser une classification de ces crises selon leur niveau de profondeur croissante. À un premier niveau, le plus superficiel, le marxisme se veut une analyse scientifique de la réalité 26 UN SIÈCLE DE MARXISME historique et sociale, et en particulier de l’économie capitaliste. À ce dernier titre, ses périodes de triomphe et de crise concernent essentiellement les universitaires et les chercheurs, car on sait bien qu’une idéologie fumeuse (comme le nazisme) peut avoir les plus grands effets politiques sans jamais ne susciter que le mépris des chercheurs ; et inversement, une théorie ou une épistémologie peut faire l’objet de débats théoriques infinis sans aucun effet sur les mouvements réels de l’histoire : c’est le vieux jeu de mots « Pourquoi Marx et pas Spencer ? ». La réponse non humoristique à ce jeu de mots est bien sûr que les théories marxistes prétendent étayer des stratégies politiques. À ce second niveau, les crises du marxisme sont liées aux crises du mouvement social, mais elles n’en restent pas moins aussi des crises théoriques (plus fondamentales et « intéressantes » que les précédentes). Ce sont des « crises des conclusions » plutôt que des crises des analyses ; mais ce sont toujours des crises au sein du marxisme, même si, comme les premières, elles peuvent conduire à rompre avec le marxisme. Il peut alors arriver que la crise secoue jusqu’au « noyau dur » luimême de ce qu’on appelle marxisme, en tant que programme à la fois d’action et de recherche. Ce ne sont plus seulement les analyses et les réponses qui sont mises en doute, mais les questions elles-mêmes, ou plutôt l’intérêt à les poser ; on leur oppose alors d’autres bonnes questions. Il ne s’agit plus tout à fait de crise « dans le marxisme », car celui-ci ne peut en sortir qu’en s’inscrivant dans une problématique plus large, qui garde cependant une coloration marxiste (schématiquement : matérialiste, dialectique et critique). Enfin, la crise peut atteindre jusqu’au « pourquoi » des « pourquoi ? », du « que faire » à l’« à quoi bon ». On en est là. REMISE EN QUESTION DES ANALYSES THEORIQUES Si le marxisme n’était qu’une théorie scientifique de l’histoire, les...

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